« Vous avez le droit de garder le silence, tout ce que votre téléphone révèlera sera retenu contre vous »
Le code de déverrouillage d’un téléphone portable peut constituer une convention secrète de déchiffrement dont le refus de communication ou de mise en œuvre dans le cadre d’une enquête peut caractériser un délit. C’est en ce sens que juge l’assemblée plénière de la Cour de cassation dans un arrêt récent du 7 novembre 2022 (pourvoi n°21-83.146), admettant ainsi une nouvelle arme législative potentiellement favorable à l’efficacité des enquêtes. Source d’inspiration pour les pays voisins, cette jurisprudence n’est cependant pas exempte de critiques en vertu du droit de ne pas s’auto-incriminer.
Une position affirmée de la Cour de cassation :
Tout commence par l’interpellation d’un individu en possession illicite de stupéfiants. Pendant sa garde à vue, il refuse de communiquer les mots de passe de ses deux téléphones aux enquêteurs. Ces derniers soupçonnaient qu’ils étaient utilisés comme support de l’infraction.
Poursuivi en première instance des chefs d’accusations de possession de stupéfiants et refus de remettre une convention secrète de déchiffrement. Il est relaxé partiellement au motif que le code de déverrouillage, ne constitue pas une convention de chiffrement selon l’article 434-15-2 du code pénal.
Successivement la cour d’appel de Paris en 2020 et la cour d’appel de Douai en 2021 relaxent partiellement l’individu. Le premier arrêt a été cassé par la Cour de cassation, qui considère que le code de déverrouillage d’un téléphone portable peut constituer une clé de déchiffrement s’il est équipé d’un moyen de cryptologie. L’arrêt de la Cour de renvoi, ne suivant pas cette position de la Cour de cassation, a été cassé par l’assemblée plénière en date du 07 novembre 2022.
L’assemblée plénière définit le moyen de cryptologie comme un outil sécurisant le stockage ou la transmission des informations, rendues au préalable incompréhensibles. Une convention secrète de déchiffrement permet le décryptage des informations. Il s’ensuit qu’un code de déverrouillage peut être une clé de déchiffrement donnant accès aux informations chiffrées d’un smartphone. Ainsi, le refus de communiquer le code de déverrouillage d’un téléphone peut constituer un délit, si l’activation de ce code met au clair les données chiffrées que l’appareil contient.
Une tentative d’adaptation de l’article 434-15-2 CP aux évolutions contemporaines :
En réponse à la menace terroriste des attentats du 11 septembre 2001 à New York, le législateur a créé la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne. Elle instaure l’article 434-15-2 du Code pénal, destiné à lutter initialement contre la communication cryptée utilisée par les terroristes.
Avec l’avènement des téléphones portables chiffrés dans le monde criminel, ils deviennent une source de preuve privilégiée pour les enquêteurs. D’autres moyens techniques permettant de déchiffrer ces données s’avèrent souvent chronophages, onéreux et complexes. Ainsi, le ministère public se sert de cette disposition dans le but d’accentuer sa lutte contre la criminalité.
Une délit difficilement caractérisable :
L’article 434-15-2 du code pénal incrimine le refus de communiquer ou de mettre en œuvre une convention secrète de chiffrement susceptible d’avoir été utilisée pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit de trois ans d’emprisonnement et de 270.000 euros d’amende.
En l’absence de rôle causal entre l’utilisation du chiffrement et la commission de l’infraction, le délit ne peut être retenu. Le téléphone doit servir à préparer, faciliter, ou commettre l’infraction. Il semble donc que l’infraction en enquête préliminaire soit plus facile à caractériser qu’en flagrance car des actes d’enquêtes ont permis de répondre aux conditions exigées par le texte. Se pose ainsi la question de l’efficacité de cette infraction en vue de la difficulté que constitue sa caractérisation.
L’efficacité des enquêtes au détriment des droits et libertés fondamentaux ?
Le régime de l’article 434-15-2 du Code pénal suscite des interrogations quant à son articulation avec les droits et libertés fondamentales. Qu’en est-il du droit de ne pas s’auto-incriminer, du droit de garder le silence en garde à vue et du droit à la vie privée ?
En 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition conforme à la Constitution. Dans l’arrêt Saunders, la Cour européenne des droits de l’homme n’y a vu aucune atteinte au droit de ne pas s’auto-incriminer. Cependant, il est évident qu’aujourd’hui les smartphones utilisent une technique de chiffrement, qui nécessite la communication du code de déverrouillage par son utilisateur pour en voir la nature ou le contenu.
Ensuite, le droit de garder le silence en garde à vue s’articule difficilement avec cette disposition. En effet, l’article 63-1 du code de procédure pénale, permet au gardé à vue de bénéficier du droit au silence. S’il décidait de s’en prévaloir, il serait directement en infraction. Au contraire, s’il divulgue son code, son droit de garder le silence serait-il anéanti ?
Enfin, une potentielle violation du droit à la vie privée eu égard du caractère intime des données se trouvant sur un téléphone portable semble être à l’origine d’un scepticisme important.
Une inspiration pour les pays voisins ?
Malgré la critique que suscite cet article du Code pénal, une telle disposition semble envisageable et sera analysée en vue d’une éventuelle intégration future dans le Code pénal luxembourgeois, d’après l’actuelle ministre de la justice Sam Tanson.
Se pose ainsi la question de savoir si cette jurisprudence constitue le début d’un armement législatif au détriment de la vie privée, du droit de ne pas s’auto-incriminer et du droit de garder le silence.
Delija Talevic
M2 Cyberjustice – Promotion 2022/2023
Sources :