You are currently viewing L’intelligence artificielle en milieu pénitentiaire : un levier d’innovation entre réinsertion et sécurité

L’intelligence artificielle (IA) est fréquemment pointée du doigt pour les menaces qu’elle fait peser sur les droits fondamentaux. De la violation de la vie privée aux biais discriminatoires des algorithmes, la prudence demeure le maître-mot face à ces nouvelles technologies. Pourtant, l’IA ne se limite pas à ces dérives : elle peut également être mise au service d’un cadre plus protecteur des droits individuels. C’est dans cette perspective que le Conseil de l’Europe s’est penché sur l’usage légitime de l’IA en milieu pénitentiaire, aboutissant, en octobre 2024, à la publication d’une recommandation détaillant les enjeux éthiques et organisationnels liés à son déploiement dans ce secteur.

 

Les perspectives tenant à une IA au service de la réhabilitation et la protection des détenus

L’intégration de l’intelligence artificielle dans les services publics soulève des questions essentielles quant à son utilisation dans des secteurs sensibles. Le milieu pénitentiaire en est un exemple emblématique, où l’IA pourrait à la fois contribuer à la réinsertion des détenus tout en renforçant leur sécurité. Conscient des enjeux éthiques et juridiques sous-jacents, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a exploré plusieurs applications potentielles de l’IA dans ce domaine, tout en soulignant que son usage doit strictement compléter l’action des services pénitentiaires et de probation, sans jamais se substituer à l’intervention humaine.

Parmi les pistes envisagées, la recommandation met en avant l’emploi de l’IA et des technologies numériques associées pour renforcer la sûreté, la sécurité et le maintien du bon ordre en détention. L’une des applications possibles serait le recours à la reconnaissance biométrique afin, par exemple, de détecter des comportements pouvant signaler un risque suicidaire chez un détenu. Toutefois, une telle utilisation soulève des défis majeurs en matière de conformité juridique. En effet, selon le Règlement européen sur l’IA, de tels systèmes relèveraient de la catégorie des systèmes à haut risque, impliquant une réglementation particulièrement stricte. Leur mise en œuvre devrait ainsi respecter des exigences rigoureuses en matière de transparence, de supervision humaine et de protection des droits fondamentaux.

Le Comité préconise également l’usage de l’intelligence artificielle pour la gestion des auteurs d’infractions, l’évaluation des risques, ainsi que la réadaptation et la réinsertion des détenus. Une telle application permettrait d’améliorer la réactivité et l’efficacité des services pénitentiaires en automatisant la détection du non-respect des obligations imposées aux détenus. Par ailleurs et s’agissant de l’évaluation des risques, la recommandation insiste sur le fait que l’IA ne doit en aucun cas conduire à des décisions entièrement automatisées. Cette position s’inscrit dans le cadre juridique fixé par l’article 22 du Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui interdit, sauf exception, un tel usage des algorithmes.  

Enfin, dans une approche davantage orientée vers la réadaptation, l’IA pourrait être mobilisée pour personnaliser les projets de réinsertion des détenus. En exploitant des données pertinentes, ces outils permettraient d’adapter les parcours de réinsertion aux besoins spécifiques de chaque individu, tout en veillant à éviter toute forme de biais algorithmique.

 

Un usage de l’IA conditionné au respect des droits et libertés fondamentaux

Si les recommandations en faveur du recours à des outils algorithmiques en milieu pénitentiaire se veulent ambitieuses, leur mise en œuvre ne saurait être inconditionnelle. En effet, la recommandation souligne que ces technologies doivent impérativement respecter des exigences strictes en matière d’éthique de l’IA et offrir des garanties suffisantes pour la protection des droits des personnes concernées. Les principes fondamentaux à garantir incluent notamment le respect de la dignité humaine, la non-discrimination, la transparence et la responsabilité. La recommandation, qui se réfère explicitement au RGPD et à la Convention 108+, rappelle également que toute collecte et tout traitement de données personnelles doivent respecter les principes de protection de la vie privée, notamment à travers des techniques comme la pseudonymisation.

Par ailleurs, la recommandation insiste sur le rôle des entreprises privées dans la conception, le développement et la maintenance de ces outils, et souligne la nécessité d’une régulation stricte. Il apparaît ainsi impératif que les États membres qui mettront en œuvre ces nouvelles technologies dans le cadre pénitentiaire garantissent un contrôle et une révision régulière de ces outils par des autorités compétentes et indépendantes.

En conclusion, l’intégration de l’intelligence artificielle en milieu pénitentiaire s’inscrit dans l’évolution plus large de la numérisation des services publics. Elle porte l’espoir de solutions innovantes permettant d’améliorer la prise en charge des détenus et leurs conditions de détention. Toutefois, son déploiement ne pourra être bénéfique qu’à condition de garantir un équilibre rigoureux entre sécurité, réinsertion et protection des libertés fondamentales.

 

FOOS Justine, M2 CYBERJUSTICE (promotion 2024/2025)

Sources : 

Conseil de l’Europe. (2024, 9 octobre). IA et services pénitentiaires et de probation : une nouvelle recommandation du Conseil de l’Europe vise à garantir le respect des droits humains et de la dignité. https://www.coe.int/fr/web/prison/-/ai-in-prisons-and-probation-new-council-of-europe-recommendation-aims-to-ensure-respect-for-human-rights-and-dignity 

 

 

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