TikTok, l’une des plateformes les plus populaires de notre époque, est devenue une machine à générer des revenus grâce à ses diffusions en direct, appelées « lives ». Derrière ce processus se cache une réalité troublante : l’exploitation de la misère humaine. Entre monétisation effrénée et manipulation émotionnelle, TikTok soulève des questions fondamentales sur l’éthique dans l’économie numérique.
TikTok et l’essor des lives : un système lucratif
Les lives TikTok permettent aux créateurs de contenu de se connecter avec leur audience en temps réel. L’interaction repose sur un système de cadeaux virtuels que les spectateurs peuvent envoyer. Le montant de ces cadeaux, achetés avec de l’argent réel, varient de quelques centimes à plus de 800 euros pour les plus prestigieux. Ainsi les créateurs, en échange de dialogues ou d’attention avec leur audience, reçoivent des cadeaux virtuels tels que des « roses » ou des « diamants » convertibles en argent. Sur ces transactions, TikTok prélève une commission d’au moins 50 %.
Le succès des « matchs », où deux créateurs s’affrontent pour recevoir le plus de cadeaux, reflète l’aspect compétitif et addictif de cette fonctionnalité. Ces interactions parasociales incitent les spectateurs à dépenser d’énormes sommes pour soutenir leurs idoles. En 2022, les dépenses sur TikTok ont atteint 6 milliards de dollars, renforçant son statut de plateforme la plus rentable.
Une exploitation masquée
Derrière cet écosystème, des pratiques plus sombres émergent. Des familles réfugiées, notamment syriennes, sont prises pour cibles par des intermédiaires. Ces « middlemen » fournissent téléphones et connexion internet et dictent aux familles les actions à réaliser pour susciter la générosité des spectateurs. Cependant, les revenus ainsi générés ne profitent qu’à TikTok et aux intermédiaires : TikTok prélève jusqu’à 70 % des dons, et les familles reçoivent moins de 10 % des revenus.
Cette exploitation ne se limite pas aux réfugiés. Des agences recrutent des streamers en situation de précarité, les incitant à effectuer des lives en échange d’une faible part des gains. Les « lives control », où les spectateurs dictent des actions humiliantes en échange de cadeaux, illustrent ces dérives. Ces pratiques réduisent les participants à de simples instruments de divertissement, posant des questions éthiques majeures.
Une cible vulnérable : les mineurs
Les mineurs, autre public vulnérable, sont directement touchés. L’absence de vérification d’âge permet aux enfants de créer des comptes et de participer aux lives, soit en tant que spectateurs, soit comme créateurs. De nombreux cas montrent des enfants manipulés pour envoyer des cadeaux virtuels à des influenceurs, parfois en soustrayant les économies familiales. L’application TikTok en n’imposant aucun véritable contrôle pour empêcher de telles pratiques, renvoie l’idée qu’elle préfère les profits à la protection des utilisateurs.
Le rôle de TikTok et les responsabilités éthiques
Malgré les signalements, l’algorithme de TikTok continue de promouvoir ces contenus. La plateforme semble peu disposée à réguler ces pratiques, qui constituent pour elle une source majeure de revenus. Pourtant, les appels à intervention se multiplient. Les gouvernements et ONG, à l’instar d’Acces now, demandent des mesures pour protéger les utilisateurs les plus vulnérables et imposer une transparence accrue sur la répartition des fonds.
De surcroît, malgré l’entrée en vigueur du Digital Services Act (DSA), qui impose de nouvelles obligations aux plateformes pour limiter les contenus illicites, les lives problématiques sur TikTok sont toujours proposés. Ces contenus continuent de circuler, et les délinquants, attirés par les gains colossaux générés, cherchent désormais à adapter leurs méthodes pour contourner les régulations. Ce phénomène, ancré dans un modèle économique lucratif, pourrait se poursuivre sous d’autres formes comme Twitch.
Concilier innovation et éthique
Si TikTok représente un symbole du divertissement numérique, il incarne également les dérives d’un modèle économique à la recherche constante de profits. L’exploitation de la misère humaine n’est pas un dommage collatéral : c’est une conséquence directe de la monétisation d’interactions sociales. Il appartient à chacun de remettre en question ces pratiques et d’exiger une économie numérique plus respectueuse et éthique. Un contrôle rigoureux, une compliance et des sanctions effectives sont indispensables pour mettre un terme à l’exploitation des populations vulnérables. Le DSA représente une avancée, mais il doit s’accompagner d’une vigilance constante et d’actions concrètes pour garantir une véritable protection des utilisateurs.
Siryne Mrabti
Master 2 Cyberjustice 2024/2025
Sources :
L’HORREUR DERRIÈRE LES LIVES TIKTOK.
Entre escroquerie et humiliation, la face cachée des lives TikTok – rts.ch – Sciences-Tech.
Une enquête de la BBC dénonce le mécanisme des lives TikTok – Buzzles
Image générée par ChatGPT