You are currently viewing La revendication d’un droit d’accès à Internet pour les détenus français

Le 28 septembre 2022, près de 600 personnes ont signé une lettre ouverte adressée à Elisabeth Borne, l’actuelle Première ministre. Parmi les signataires, des responsables d’associations, des acteurs du monde judiciaire et pénitentiaire, des députés, ou encore d’anciens ou d’actuels détenus. Celle-ci a pour finalité la demande d’une mise en place d’un accès Internet en prison. En effet, ce ne sont pas moins de 72 000 détenus qui sont privés d’Internet, victimes de la fracture numérique malgré eux. Or, l’une des priorités politiques du président Emmanuel Macron est justement la lutte contre cette dernière.

En France, la question de cet accès à Internet demeure absente tant des projets politiques que des discours gouvernementaux.

 

Un accès à Internet interdit par principe dans les prisons françaises

Il n’existe aujourd’hui, en France, aucune disposition légale interdisant formellement l’usage d’Internet en prison. Seul un principe d’interdit fut posé par voie administrative dans une note en date du 21 mai 2004 intitulée « Interdiction faite aux détenus d’accéder à Internet et à tout système d’information extérieur ». Le principe fut renouvelé dans une circulaire de l’administration française pénitentiaire datant du 13 octobre 2009. 

Pourtant, le droit d’accès à Internet fait l’objet en France d’une protection en raison notamment de son rôle dans l’exercice des droits fondamentaux.

 

La protection particulière de l’accès à Internet en France

Depuis 2012, l’accès à Internet est un droit fondamental reconnu par l’ONU. Concernant la France, c’est le Conseil constitutionnel qui, à l’occasion d’une décision en date du 10 juin 2009 relative à la loi Hadopi I, s’est prononcé sur la question. Ce dernier a considéré que l’accès à Internet n’est pas un droit fondamental en soi. En effet, celui-ci serait avant tout le « support » qui permet l’exercice des droits fondamentaux. C’est donc à ce titre qu’il doit être protégé.

Cette idée de « support » garantissant l’exercice des droits fondamentaux est partagée par les signataires de la lettre ouverte. 

 

Internet, garant de l’exercice des droits fondamentaux

Selon les signataires, l’accès à Internet permettrait aux détenus de : 

  • Réaliser de manière autonome leurs démarches administratives.
  • Suivre des formations à distance et se former professionnellement.
  • Pouvoir avoir accès à leurs droits et à l’exercice de leurs droits de la défense, etc.

Internet permettrait notamment de les reconnaître comme sujets de droits. Interdire son accès consisterait alors, selon eux, en une entrave à de nombreux droits fondamentaux comme la liberté d’expression, le droit à l’éducation, etc. Qui plus est, dans un contexte de dématérialisation de l’intégralité des services publics, l’accès à Internet permettrait de ne pas priver cette population de l’exercice effectif de leurs droits.

À côté de cela, Internet permettrait aussi d’améliorer les conditions de vie en détention et de contribuer à une meilleure réinsertion.

 

Un levier pour améliorer les conditions de vie en détention et aider à la réinsertion

Durant leur détention, Internet permettrait aux détenus de maintenir le contact avec leurs proches, ainsi que d’atténuer l’isolement. Mais surtout, il contribuerait à leur réinsertion en leur faisant garder un lien avec le monde extérieur et son développement. Le Conseil de l’Europe lui-même rappelle dans la Règle pénitentiaire européenne numéro 24.5 que « les autorités pénitentiaires doivent aider les détenus à maintenir un contact adéquat avec le monde extérieur ». Ainsi, à leur sortie, les anciens détenus ne seraient pas totalement perdus et pourraient mieux se réinsérer en société. En effet, au-delà d’une fonction punitive, réintégrer la personne dans la société pour qu’elle ne récidive pas est une des missions de la prison

 

Une demande source de réticence et d’inquiétudes pour certains

Certains syndicats pénitentiaires français sont assez réticents à l’idée d’autoriser un accès à Internet dans les prisons. Pour ces derniers, une telle mesure ne ferait qu’accroître les dangers. Les détenus pourraient contacter les victimes, trouver des informations personnelles sur les surveillants, faciliter une éventuelle évasion, etc. Toutefois, selon ses défenseurs, ces dangers sont loin d’être une nouveauté. Ils existent déjà avec la présence, pourtant interdite, de téléphones portables au sein des établissements pénitentiaires. De plus, ils affirment que si un accès à Internet est établi, il pourra être limité par des interdictions ponctuelles motivées. 

 

Des expérimentations pour un numérique au service des détenus

Si les avis sur cette question sont encore divisés, certaines initiatives incluant le numérique en faveur des détenus commencent à voir le jour. Ainsi, l’administration pénitentiaire teste actuellement dans trois prisons le « Numérique en détention » (Ned). Le but n’est pas la mise en place d’un accès à Internet, mais la création d’un intranet sécurisé et cloisonné. Avec le Ned, les détenus peuvent par exemple accéder à un Espace Numérique de Travail (ENT) pour suivre des enseignements. Ils peuvent consulter la plateforme IPRO 360° pour utiliser les outils de Pôle emploi afin de rechercher un emploi ou une formation professionnelle à l’extérieur, s’informer sur leurs droits, etc. À l’avenir, ce dispositif pourrait être généralisé et permettre par exemple l’accès à certains services internet étatiques comme ameli.fr.

 

Jeanne Thielges

M2 Cyberjustice – Promotion 2022/2023

 

https://internet-en-prison.fr/ 

https://oip.org/communique/pour-un-acces-a-internet-en-prison/ 

https://oip.org/analyse/numerique-en-detention-vers-de-petites-ameliorations-pour-les-detenus/ 

https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/commentaires/cahier27/ccc_580dc.pdf 

https://rm.coe.int/16806ab9b6

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