You are currently viewing L’activation à distance des caméras et micros d’objets connectés par les enquêteurs

Le 6 juillet 2023, l’Assemblée nationale adopte le projet de loi « Orientation et programmation du ministère de la Justice 2023-2027 ».

Porté par Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, ce projet a pour objectif de modifier plusieurs aspects de la procédure pénale. Cependant, une des dispositions en particulier suscite de vives inquiétudes : l’activation à distance des caméras et micros des téléphones portables, des ordinateurs et d’autres appareils connectés dans le cadre de certaines enquêtes judiciaires.

 

Un dispositif de surveillance destiné à certaines enquêtes

Prévu à l’article 3 de ce projet de loi, ce dispositif de surveillance concerne les personnes visées dans le cadre d’enquêtes pour terrorisme, criminalité organisée ainsi que pour des crimes et délits passibles d’au moins dix ans d’emprisonnement. Pour le mettre en place, les enquêteurs devront exploiter les failles de sécurité des appareils afin d’en activer les micros et/ou caméras. Tout ceci se ferait à l’insu des principaux concernés.

La Chancellerie, terme désignant les services centraux du ministère de la Justice, est toutefois venue apporter quelques garanties quant à la mise en place de ce dispositif. Tout d’abord, une autorisation préalable du juge des libertés et de la détention ou du juge d’instruction devra être obtenue. Elle devra être spécialement motivée et identifier précisément le ou les appareils concernés. La captation sera également limitée dans le temps. Ainsi, autorisée par un juge des libertés et de la détention, sa durée sera de quinze jours renouvelable une fois. Elle pourra, en revanche, être de deux mois renouvelables pour une durée maximale de six mois si elle est accordée par un juge d’instruction. 

Enfin, il existe une catégorie de « personnes protégées » auprès desquelles un tel dispositif ne pourra pas être déployé. Initialement, seuls les magistrats, avocats et parlementaires étaient protégés. Toutefois, en commission, celle-ci est étendue aux métiers d’huissiers, de médecins et de journalistes. Certains lieux devraient également être protégés, tels que le cabinet d’un avocat ou d’un médecin, les juridictions, les bureaux de notaires et d’huissiers, les locaux d’une entreprise de presse ou encore les domiciles des journalistes. 

 

Les craintes d’atteintes aux droits fondamentaux

Les avis et réactions suite à l’adoption de cette loi ne se sont pas fait attendre. Nombreux sont ceux à craindre une rupture de l’équilibre entre les nécessités de l’enquête et les atteintes faites aux libertés et droits fondamentaux tels que le droit à la vie privée, à la sûreté ou encore au secret des correspondances. 

Avant même l’adoption du texte, le Conseil national des barreaux faisait part de ses craintes. Celui-ci redoutait une « banalisation des atteintes aux libertés individuelles » via l’utilisation de « techniques de surveillance continue de nature à remettre en cause le droit à la vie privée ». 

L’une des craintes notamment est que toute personne se trouvant aux côtés d’un individu surveillé puisse, elle aussi, être enregistrée à son insu. Cela pourrait par exemple être le cas si le suspect échange avec son avocat, lequel pourrait alors se retrouver écouté par le biais de l’appareil de son client.

D’autres craintes découlent quant à elles directement de la rédaction du texte. Premièrement, en mentionnant la possibilité d’activer tout « appareil électronique », ce dernier laisse craindre que chaque objet disposant d’une caméra et/ou d’un micro puissent être utilisés. C’est une infinité d’appareils qui pourraient être concernés. Par exemple, des assistants vocaux du type Google Home, des montres connectées ou encore des babyphones pourraient être détournés de leur fonction principale pour devenir des « mouchards ». Sans compter que la technique devant être utilisée est elle aussi pointée du doigt. En effet, le gouvernement, au lieu de chercher à corriger les failles des appareils pour en protéger les utilisateurs, exploiterait et entretiendrait celles-ci.

Au regard de la place que les objets connectés occupent dans le quotidien des individus, les atteintes au droit à la vie privée ne pourraient s’en trouver que renforcées par cette loi. D’autant plus que, selon Patrick Baudouin, avocat et président de la Ligue des droits de l’Homme et membre de l’Observatoire des libertés et du numérique, les enquêteurs disposeraient déjà de moyens d’enquête suffisamment intrusifs tels que les écoutes téléphoniques ou encore les enregistreurs d’écrans ou de frappe (keylogger). 

Ce qui est redouté, c’est un « effet-cliquet ». Ce terme se réfère à des méthodes de surveillance qui, une fois acceptées pour une certaine catégorie d’infractions, sont ensuite progressivement étendues à tout type d’actes. 

Enfin, l’emploi du terme « infractions graves » est également souligné. Le spectre des infractions visées par celui-ci peut s’avérer très large. Ainsi, le terme de criminalité organisée pourrait, par exemple, permettre l’usage de ce dispositif à l’encontre de groupements militants tels que les groupements écologistes.

 

Un ministère de la Justice se voulant rassurant

Pour le garde des Sceaux, l’objectif est avant tout d’améliorer les techniques d’enquêtes actuelles que sont la pose de balises GPS ou de caméras et micros chez les suspects. Jugées obsolètes car bien connues des délinquants qui parviennent à les déjouer, elles présenteraient également un danger pour les enquêteurs chargés de leur mise en place.

Ce dernier insiste également sur le fait que seules les affaires les plus graves seront concernées, ce qui ne représenterait « qu’une dizaine d’affaires par an » seulement. Un dispositif bien loin, selon lui, du « totalitarisme de 1984 » en référence au roman dystopique de George Orwell.

 

Jeanne Thielges

M2 Cyberjustice – Promotion 2022/2023

 

Sources : 

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1440_texte-adopte-commission#D_Article_3_bis_AA 

https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/08/l-activation-a-distance-pour-certaines-enquetes-des-micros-et-cameras-des-appareils-connectes-passe-le-cap-du-senat_6176655_3224.html

https://www.leparisien.fr/high-tech/cameras-et-micros-activables-a-distance-par-la-justice-pourquoi-cette-mesure-fait-polemique-08-06-2023-VUHA6FVBLJEOJPDUJMN7RWZU6M.php 

https://www.20minutes.fr/justice/4040339-20230608-justice-cameras-micros-telephones-pourront-bien-etre-actives-distance 

https://www.laquadrature.net/2023/05/31/transformer-les-objets-connectes-en-mouchards-la-surenchere-securitaire-du-gouvernement/ 

https://www.lepoint.fr/high-tech-internet/telephones-mouchards-ce-que-la-nouvelle-loi-rend-possible-07-07-2023-2527680_47.php 

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