L’émergence des nouvelles intelligences artificielles accessibles au public comme ChatGPT ou Dall-e (qui a créé l’image utilisée pour cet article) pose des problématiques en droit de la propriété intellectuelle et notamment en droit d’auteur. Il s’agit de se concentrer sur cet aspect, ainsi il ne sera pas question de la possible protection accordée par le droit de la propriété industrielle.
Définition de l’intelligence artificielle et du droit d’auteur
Avant de commencer, il faut définir ce qu’on entend par intelligence artificielle (ci-après IA). L’IA est une technologie reposant sur des algorithmes ayant pour but de reproduire les mécanismes de l’intelligence naturelle de l’homme, voire de les dépasser. Il existe de nombreuses formes d’IA. Ainsi, il sera ici uniquement question des IA auto-apprenantes, celles utilisant l’apprentissage non-supervisé.
Selon le Code de la propriété intellectuelle (ci-après CPI), le droit d’auteur tend à protéger « toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ». L’idée première qui se dégage de cette définition est celle de protéger la propriété que représente la création intellectuelle de l’être humain. Et, selon la jurisprudence actuelle, le droit d’auteur protège expressément la création humaine.
Il faut ensuite distinguer la création dite assistée et la création originale. Dans la création assistée, les droits reviennent à la personne physique puisque l’IA n’est qu’un outil support de l’expression artistique, l’humain intervient directement dans le processus de création de l’œuvre. Dans la création originale, la question des droits est plus centrale puisque c’est l’IA qui est réalisatrice autonome de ses œuvres. En effet, il s’agit toujours de lui donner une ou plusieurs instructions mais la création est réalisée sans autre intervention humaine.
Quelle protection accorder à l’IA créatrice ? Une protection indépendante de celle accordée au concepteur est-elle envisageable ?
Il est admis que le producteur de l’IA, le créateur auteur, peut disposer de la protection accordée par le droit d’auteur puisque le droit de la propriété littéraire et artistique permet de protéger la création de l’IA. En effet, selon l’article L.111-1 CPI, « le droit d’auteur naît du seul fait de la création de l’œuvre de l’esprit » et selon l’article L.112-2 CPI le logiciel fait partie de cette protection. En conséquence, les IA sont protégeables par le droit d’auteur. Mais s’agissant de la protection accordée à l’IA en tant qu’auteur de l’œuvre, la question est plus ténue et pour l’heure aucune acceptation n’existe en droit français.
La condition fondamentale pour que la protection du droit d’auteur puisse être appliquée à une œuvre est celle de l’originalité. Il s’agit de ressentir la patte de l’artiste, c’est-à-dire l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Comme toute notion en droit, celle-ci aussi a été amenée à évoluer (notamment avec l’arrêt Pachot rendu en 1982, qui demande la caractérisation d’un effort de création ou effort personnalisé de la part de l’auteur). C’est maintenant la théorie de l’unicité de l’art qui s’applique et selon laquelle le droit d’auteur s’applique à toute œuvre procédant d’une création intellectuelle originale ; et non pas d’une “création artificielle”.
Ainsi, en l’état actuel du droit français, aucune disposition ne permet d’octroyer une protection aux œuvres générées par une IA et la doctrine est divisée sur la question. En effet, la vision personnaliste du droit d’auteur ne permet pas qu’on puisse accorder la protection à une œuvre réalisée par une machine car elle sous-tend l’idée d’une création humaine. Les critères de qualification d’œuvre de l’esprit exigent que l’auteur soit une personne physique. Or, les contenus générés sont ici le résultat d’un programme informatique non-humain et n’émanant pas d’une personne physique. Sachant qu’il n’existe pas à ce jour de personnalité juridique de la machine, et que la qualité humaine est une condition nécessaire et essentielle à la création, il semble difficile d’admettre qu’une IA puisse être auteur d’une œuvre.
De plus, les contenus sont générés de manière automatique ce qui va à l’encontre de l’idée d’un processus créatif. Enfin, bien que les contenus révèlent une qualité artistique, ils ne sont pas l’expression d’une personnalité identifiable, critère du caractère original de l’œuvre. Les machines ne peuvent adopter des choix créatifs si on considère qu’il n’existe pas de démarche créatrice artificielle.
Cette vision est également celle retenue jusqu’à présent par la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle l’originalité s’explicite par une création intellectuelle propre à l’auteur. Cette notion du reflet de la personnalité de l’auteur doit s’entendre comme signifiant qu’une intervention humaine est indispensable pour qu’une œuvre puisse être protégée par le droit d’auteur.
Quelles réponses apporter à l’heure actuelle ?
En France, la loi et la jurisprudence ne donnent pas de réponse précise. Il est seulement admis qu’une protection puisse être accordée au concepteur pour la création de l’IA en vertu du droit à la protection des logiciels. Il est également admis que les œuvres réalisées par l’IA ne peuvent pas être protégées en tant qu’IA créatrice, car la législation en vigueur retient notamment que l’auteur créateur doit être une personne physique. En ce qui concerne le caractère original de l’œuvre, celui-ci tend à évoluer et la jurisprudence serait encline à accepter une vision moins personnaliste de ce critère et à admettre qu’une IA puisse créer une œuvre originale mais ce n’est pas encore le cas. Enfin, concernant la paternité de l’œuvre, le débat oscille entre le concepteur de l’IA et l’utilisateur, la position de la jurisprudence reste floue à ce sujet.
Chloé PADAR
M2 Cyberjustice – promotion 2022-2023
Sources:
https://www.murielle-cahen.fr/le-critere-doriginalite-pour-definir-le-droit-dauteur-dune-oeuvre/
https://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2017/05/article_0003.html