Le neurodroit ou neurolaw désigne un champ de recherche consacré à la rencontre entre le droit et les neurosciences. Il reflète le saisissement des neurosciences par le droit et l’impact de celles-ci. Il s’intéresse aux applications juridiques des résultats issus des recherches en neurosciences, et en particulier, aux différentes techniques d’imagerie cérébrale. Pourrait-on alors contourner le silence d’un accusé par l’utilisation des sciences cognitives ?
Neurosciences et droit pénal :
En droit pénal, l’imagerie cérébrale peut être utilisée à des fins :
- Répressive : pour la recherche d’auteurs d’infraction ;
- Préventive : pour déterminer le degré de dangerosité d’un individu ;
- Thérapeutique: pour remédier à certaines pathologies.
Dans ce domaine, les États-Unis sont précurseurs de travaux de recherche sur l’utilisation des neurosciences dans les procédures judiciaires depuis la fin des années 1990.
Dans ce sens, certains États américains admettent aujourd’hui la recevabilité́ de la preuve scientifique fondée sur l’empreinte cérébrale dans des cas où la personne poursuivie tente de démontrer son irresponsabilité pénale ou de bénéficier d’une atténuation de peine.
En effet, les détecteurs de mensonge sont utilisés de manière récurrente[1].
Aux États-Unis, les conditions d’admissibilité d’un moyen de preuve, « Federal Rules of Evidence », ont été établi par la Cour suprême[2] : la technique de preuve a été testée, évaluée et publiée, le taux d’erreur est connu et une telle technique fait l’objet de normes évolutives et est reconnue à bon droit par la communauté scientifique.
L’état actuel du droit
En France, notre droit pénal est gouverné par le principe de liberté d’administration de la preuve. L’article 427 du Code de procédure pénale précise que :
« Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction ».
Le neurodroit pourrait donc, avec le consentement de la personne concernée, apparaitre comme une alternative envisageable d’admission de la preuve en droit commun français.
Cependant, ceci doit nécessairement être nuancé par l’obligation de licéité́ du mode de preuve, le principe de loyauté dans l’administration de la preuve et l’absence d’atteinte à la dignité de la personne humaine.
Dès lors, le neurodroit a gagné en visibilité en France grâce à la révision du 7 juillet 2011 des lois bioéthiques et l’introduction de l’article 16-14 du Code civil, relatif aux utilisations de l’imagerie cérébrale :
« Les techniques d’imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique ou dans le cadre d’expertises judiciaires, à l’exclusion, dans ce cadre, de l’imagerie cérébrale fonctionnelle. Le consentement exprès de la personne doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de l’examen, après qu’elle a été dûment informée de sa nature et de sa finalité. Le consentement mentionne la finalité de l’examen. Il est révocable sans forme et à tout moment. »
Cependant, la culpabilité d’un individu en France ne saurait être fondée uniquement sur la seule base d’un examen d’imagerie cérébrale. En effet, la Cour de cassation juge une interdiction pour les experts de trancher une question relevant de la compétence exclusive du juge.[3]
Il est inenvisageable aujourd’hui qu’une technique d’imagerie cérébrale soit imposée à une personne n’ayant pas donné son consentement. Une telle décision serait contraire aux principes de dignité humaine[4] et de respect de la vie privée[5].
Entre éthique, psychiatrie, pratique ou droit, l’utilisation de l’imagerie cérébrale permet-elle réellement de distinguer un menteur, d’un psychopathe ou d’un meurtrier, d’un individu considéré comme « lambda » qui n’aurait pas contrevenu à la loi ?
Romane Leban-Mathieu
M2 Cyberjustice 2021-2022
[1] Selon un rapport de l’inspecteur général du Département américain de la justice, plus de 49 000 personnes ont été soumises au détecteur de mensonge entre 2002 et 2005.
[2] United States Supreme Court, 509 U.S. 579, Daubert v. Merrell Dow Pharmaceuticals, 28 juin 1993
[3] Cass. crim., 29 janv. 2003, n°°02-86.774.
[4] L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme garantit indirectement le principe de dignité de la personne humaine. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
[5] Article 9 du Code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. »
Sources majeures
- https://www.lepetitjuriste.fr/neurosciences-et-droit-lexpansion-dun-nouveau-domaine-de-recherche/
- https://www.wgtn.ac.nz/law/research/publications/about-nzacl/publications/special-issues/hors-serie-volume-xvi,-2014/Sordino.pdf
- https://www.alain-bensoussan.com/wp-content/uploads/2017/10/34902400.pdf
- http://oullier.free.fr/files/2012_Oullier_Neurodroit-Neurolaw_Introduction-Enjeux.pdf