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Le 11 avril 2022, le procès entre Johnny Depp et Amber Heard a débuté. Il a été très médiatisé, du fait notamment de la popularité des deux protagonistes, et aussi car il a pu être suivi en live sur les chaînes américaines et sur les réseaux sociaux. Si c’est plus ou moins la norme aux Etats-Unis que les procès soient filmés, qu’en est-il en France ?

Depuis une loi de 1954, l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse interdit « l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image ». Depuis la loi du 11 juillet 1985 tendant à la constitution d’archives audiovisuelles de la justice, il existait une exception quand l’enregistrement du procès « présente un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la justice ». Ainsi, grâce à ce texte législatif, quinze procès ont pu être enregistrés, comme par exemple celui de Klaus Barbie, celui de l’affaire du sang contaminé et plus récemment, ceux des attentats de janvier 2015 et de novembre 2015.

Mais il existe désormais une seconde exception issue de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021. Daphné Vigneron, ancienne étudiante du Master Cyberjustice, avait présenté cette disposition phare du texte législatif porté par Eric Dupond-Moretti, dans un article que vous pouvez lire ici.

L’article 1er de la loi du 22 décembre 2021 modifie celle sur la liberté de la presse, en créant un article 38 quater, et pose ainsi une nouvelle exception : « l’enregistrement sonore ou audiovisuel d’une audience peut être autorisé, pour un motif d’intérêt public d’ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique, en vue de sa diffusion ».

L’article 38 quater continue en posant différentes garanties comme la demande d’autorisation d’enregistrement et de diffusion, le fait de pouvoir suspendre l’enregistrement si celui-ci porte atteinte au bon déroulement de l’audience. Il précise notamment que la diffusion du procès ne peut avoir lieu qu’une fois l’affaire définitivement jugée et qu’elle ne doit pas porter « atteinte ni à la sécurité, ni au respect de la vie privée des personnes enregistrées, ni au respect de la présomption d’innocence ». 

Un décret a été publié le 31 mars 2022 pour préciser les modalités d’application de ce nouvel article. Ainsi, il est prévu, à l’article 2 du décret, que la demande d’autorisation d’enregistrement d’une audience, qui est adressée au garde des sceaux, doit préciser le motif d’intérêt public d’ordre pédagogique, informatif, culture ou scientifique. L’article poursuit en expliquant que « la demande est accompagnée d’une description circonstanciée du projet éditorial ».

Dans le cas où, l’autorité qui doit statuer sur la demande d’autorisation de captation refuse l’enregistrement de l’audience, il est possible de faire un recours contre cette décision devant, selon les cas, le Tribunal des conflits, le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation.

Le décret prévoit également les modalités de recueil des consentements, pour l’enregistrement et pour la diffusion. Celui-ci doit se faire par le biais d’un formulaire établi selon des modèles publiés par un arrêté. La personne filmée qui avait dans un premier temps consenti à la diffusion de son image peut se rétracter, dans un délai de 15 jours, à compter du « lendemain du dernier jour de la dernière audience enregistrée ».

L’article 14 du décret prévoit que « le bénéficiaire de l’autorisation d’enregistrement est tenu à une obligation d’occultation des mineurs, des majeurs bénéficiant d’une protection juridique, et des autres personnes enregistrées qui n’ont pas consenti à la diffusion des images et des éléments d’identification les concernant ». Il poursuit en posant une obligation d’occultation de toutes les personnes enregistrées « au bout de cinq ans après la première diffusion de l’enregistrement ou de dix ans après l’autorisation d’enregistrement ».

Il faudra attendre la rentrée 2022 pour voir à la télévision les premières diffusions d’audiences. France 3 prévoit dans sa grille de programme, une émission pédagogique. La chaîne de télévision publique a eu l’autorisation de filmer dans l’enceinte du tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence. Elle prévoit que les images des audiences seront commentées par un journaliste, un avocat et un magistrat.

Le modèle français est donc bien loin de celui des Etats-Unis. En effet, aucune diffusion en direct des audiences n’est prévue et elle est beaucoup plus encadrée.

Julie HEYRAUD

Sources :

A propos de COMED 2021/2022