La question des oeuvres invisibles et des droits d’auteur s’est posée à la suite d’une affaire précise, ayant déclenché une réelle bataille juridique sur le plan de la propriété intellectuelle.
Le 18 mai 2021, un peintre italien, Salvatore Garau, crée une sculpture invisible dénommée « Io Sono ». Celle-ci, mise aux enchères par Art-Rites, une maison de vente, va finalement se vendre à 15 000 euros. Etant immatérielle, il n’y eut évidemment aucune photo, mais seulement une description attestant qu’elle pouvait être installée « dans une habitation privée, dans un espace libre de tout encombrement », et que ses dimensions étaient variables, aux environs de 1,5m X 1,5m. Salvatore GARAU a tout de même délivré un certificat d’authenticité à l’acheteur.
Toutefois, le droit, et plus particulièrement la question de la propriété intellectuelle entre en jeu lorsque Tom Miller, un artiste américain, accuse Salvatore GARAU d’avoir plagié son propre travail. En effet, en 2016, il avait lui-même réalisé une sculpture invisible répondant au nom de « Nothing », qu’il avait d’ailleurs exposé en Floride, à Gainesville. De plus, il avait réalisé un documentaire sur YouTube dans lequel il énonçait que sa création est indéniablement « la meilleure et la première sculpture du monde faite à partir de rien ». Selon Tom Miller, le peintre italien ne pouvait, à l’ère du numérique et de la sur-information, ignorer l’existence de son travail. Ainsi, il l’a contacté, lui demandant de le créditer, car pour lui, « les idées ont de l’importance, dans ce monde, et la personne qu’on crédite pour ces idées est importante. »
Au vu du refus de Salvatore Garau, il a saisi la justice. Cette accusation de plagiat est inédite en la matière. Selon une avocate spécialisée en Art et propriété intellectuelle, Agnès Tricoire, ces poursuites sont vaines car on ne peut considérer qu’une oeuvre est protégée seulement si celle-ci est une oeuvre « originale, déterminable, explicable, justifiable. » Ainsi, en l’état des faits actuels, il n’y a pas réellement d’oeuvre « originale ». De plus, le Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose que “l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous”. Puis, l’article L. 112-1 du même code protège « les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination”. Toutefois, le critère matériel est indispensable. L’oeuvre doit être tangible, perceptible par les sens, ce qui fait défaut en l’espèce. Comment appréhender une réelle forme d’expression lorsque l’on se trouve face à du vide ? L’artiste italien appuyait sur le fait que l’expression de son oeuvre peut se retrouver dans la description écrite qu’il en a fait, ainsi que dans le mode opératoire d’exposition l’accompagnant. Toutefois, le droit d’auteur ne s’attèle pas à encadrer les idées, les concepts car ceux-ci doivent demeurer de libre parcours. On ne peut « monopoliser » les idées, comme on le ferait avec quelque chose de matériel, de palpable ; car celles-ci sont le résultat d’une liberté de création que l’on ne peut restreindre.
De plus, ce concept de « vide » et d’œuvres invisibles ne semble pas être tout nouveau. En effet, en 1958, Yves Klein avait déjà exposé une galerie entièrement vide, ou bien encore, en 1952, John Cage, compositeur, avait réalisé un morceau de piano complètement silencieux. Ce concept ne semble donc pas lui appartenir de manière inhérente. En fait, beaucoup s’érigent en tant que fondateurs premiers des sculptures invisibles.
En somme, cette actualité juridique soulève plusieurs questions, auxquelles le droit se doit de répondre, en particulier concernant les œuvres invisibles. Comment protéger le droit d’auteur lorsque le critère matériel n’est point rempli ? Cela dénote une adaptation nécessaire du domaine juridique avec le numérique, et ce, dans le monde de l’Art également. On peut espérer que le contentieux à venir saura répondre à ces questions. Les artistes méritent une protection entière de leurs œuvres, quelles qu’elles soient. En clair, le droit se doit de garantir une protection égale entre l’aspect supérieur de l’art et l’intérêt particulier des artistes.
Ainsi, cette affaire semble être l’opportunité idéale pour adapter le droit, et réfléchir aux différentes nuances entre « plagiat » et « inspiration » concernant les œuvres invisibles. Affaire à suivre.
Linda Ragot
Sources :
- https://www.lettredunumerique.com/P-2273-452-A1-quand-une-oeuvre-invisible-pourrait-bouleverser-le-droit-d-auteur.html
- https://www.franceculture.fr/sculpture/plagiat-doeuvre-invisible-une-oeuvre-inexistante-est-elle-protegee
- Source image Unsplash : https://unsplash.com/photos/EKy2OTRPXdw