Largement récompensé par quatre César en février dernier, « L’histoire de Souleymane » réalisé par Boris Lokine, met en scène un jeune livreur de repas à domicile. Sans papiers, ce dernier ne peut pas avoir de compte à son nom. Une seule solution : louer un compte, à un prix exorbitant.
Mais plus que du cinéma, c’est une réalité. Le sous-louage de compte sur les services de livraison de repas à domicile existe et pose de nombreux problèmes éthiques et juridiques.
Uber Eats, Deliveroo et les autres plateformes de livraison fonctionnent sur un principe simple : des livreurs indépendants, connectés via une application, assurent la livraison de repas commandés par des utilisateurs.
Pour se créer un compte, quelques formalités sont nécessaires. D’abord, une preuve de l’existence d’une auto-entreprise du livreur doit être apportée puis une pièce d’identité doit ensuite être fournie. Pour ces raisons, les personnes en situation irrégulière ne peuvent pas avoir de compte à leur nom.
En grande situation de précarité, ceux-ci se tournent, sans autre choix, vers la location de compte. Par bouche-à-oreille ou via des pages Facebook dédiées à ce business, les prix explosent. Certains doivent payer jusqu’à 200 € par semaine, soit près de 800 € par mois, juste pour avoir le droit de travailler. D’autres se voient ponctionner jusqu’à 50 % de leurs revenus, rendant leur activité à peine rentable.
Ce phénomène est assez courant. Dans un rapport d’information du Sénat en date du 5 octobre 2022, 426 livreurs ont été contrôlés, dont 63 étaient en situation de sous location de compte, soit 14,7% du total des livreurs contrôlés.
Afin de lutter contre ce phénomène, Uber Etats et Deliveroo ont mis en place un système de reconnaissance faciale et de détection de documents frauduleux.
- Comment fonctionne l’identification en temps réel ?
De manière automatique d’abord, il est périodiquement (entre deux livraisons ou au moment du lancement de l’application) demandé aux livreurs de prendre un selfie en temps réel afin de le comparer avec la photo de profil du titulaire du compte. Cette photo de profil a préalablement été vérifiée par l’application qui s’est assuré de sa concordance avec la pièce d’identité fournie au moment de la création du compte.
Elle peut également être automatique suite au signalement d’un doute sur l’identité par un consommateur ou un restaurateur.
Dans un souci de protection des données personnelles et de la vie privée, les livreurs peuvent choisir entre un contrôle automatisé utilisant la technologie biométrique ou un contrôle purement manuel effectué par un agent de support.
Ainsi, en 2022, Uber Eats avait clôturé environ 2 500 comptes frauduleux, empêchant certes, d’un coté, ce qui pourrait être appelé de l’esclavage mais d’un autre coté, la seule source de revenu de milliers de sans papiers.
Malgré la mise en place de ces vérifications, la fraude persiste, ce qui interroge sur les moyens d’être certain de l’identité en ligne d’une personne.
- La vérification d’identité en ligne : une impossibilité d’être certain ?
Si ces pratiques continuent encore en 2025, c’est parce qu’il est quasiment impossible d’être à 100 % certain de l’identité en ligne d’une personne. Dans L’histoire de Souleymane, le personnage principal fait face à un contrôle. Nous pouvons le voir alors traverser Paris pour retrouver le propriétaire du compte afin qu’il se prenne en selfie dans l’application.
Cette scène illustre une réalité bien plus large : la vérification d’identité en ligne repose sur des systèmes qui peuvent être contournés, manipulés ou détournés, rendant toute certitude impossible. Au-delà du cas des livreurs, cette incertitude sur l’identité touche toutes les sphères du numérique : achats en ligne, accès aux services bancaires, cybersécurité, et même démocratie numérique. Une identité numérique peut être partagée, volée, louée ou créée de toutes pièces.
Tant que ces failles existeront, les pratiques de contournement comme la sous-location de comptes continueront de prospérer. Même avec les technologies les plus avancées, aucun système ne pourra combler toutes les failles sans porter atteinte aux droits fondamentaux. Aller trop loin dans l’identification signifierait une surveillance constante, avec le risque d’exclure des personnes légitimes simplement parce que leur identité ne rentre pas dans les cases.
L’incertitude sur l’identité en ligne continuera donc d’exister, car exiger une sécurité absolue reviendrait à sacrifier des libertés essentielles. La question n’est pas seulement technique, elle est aussi éthique.
Louis PERRIN-CONRARD
M2 CYBERJUSTICE – Promotion 2024/2025

Sources :
- https://www.streetpress.com/sujet/1678707095-business-sous-locations-comptes-livreurs-stuart-ubereats-deliveroo-sans-papiers-travailleurs
- https://www.uber.com/fr/newsroom/quand-selfie-rime-avec-safety-uber-lance-un-systeme-didentification-en-temps-reel-pour-lutter-contre-la-fraude-sur-uber-eats-et-uber/
- https://www.lepopulaire.fr/limoges-87000/economie/comment-uber-eats-et-deliveroo-tentent-de-lutter-contre-la-sous-traitance-dissimulee-et-illegale_13940688/
