You are currently viewing L’effet Streisand : quand la censure catalyse la viralité

En 2003, Barbra Streisand engage une action en justice contre un photographe afin de faire supprimer une image aérienne de sa propriété en Californie, publiée dans une base de données sur l’érosion côtière. 

Objectif : protéger sa vie privée. 

Résultat : l’image, jusque-là inconnue du grand public, devient virale et est vue par des millions de personnes. 

Ce phénomène, désormais connu sous le nom d’effet Streisand, illustre un paradoxe bien établi : plus on cherche à censurer une information, plus elle attire l’attention. À l’ère du numérique, ce mécanisme ne concerne pas seulement les célébrités, mais aussi les entreprises, les institutions et les particuliers. Droit à l’oubli, e-réputation, gestion de crise : l’effet Streisand met en lumière les limites des stratégies de suppression de contenu. Comment expliquer cette amplification involontaire ? Quelles sont ses implications juridiques ? Et surtout, quelles approches permettent de l’éviter ?

 

Mécanisme de l’effet Streisand

Le phénomène repose sur trois mécanismes psychologiques et sociologiques :

  • L’effet de curiosité : Le fait qu’une information soit supprimée ou contestée suscite un intérêt accru.
  • La réactance psychologique : La tentative de censure est perçue comme une atteinte à la liberté d’information, incitant les internautes à partager massivement le contenu concerné.
  • La viralité numérique : Les réseaux sociaux et les forums amplifient la diffusion de l’information, rendant toute suppression quasi impossible.

 

Implications juridiques en droit du numérique

  • Droit à l’oubli et effet Streisand : Le droit à l’oubli, consacré par le Règlement général sur la protection des données en Europe, permet aux individus de demander la suppression d’informations personnelles les concernant. Cependant, l’effet Streisand complique sa mise en œuvre : une demande de suppression peut déclencher une médiatisation indésirable, rendant l’information encore plus visible. Des affaires illustrent ce dilemme juridique, comme celles impliquant des condamnés cherchant à effacer leur passé en ligne.

C’est ce qui est arrivé à Gaël Perdriau, maire de Saint-Étienne, qui a obtenu du tribunal judiciaire de Paris une interdiction visant à empêcher Mediapart de publier des enregistrements compromettants en 2022. Cette tentative de censure préventive a eu un effet Streisand immédiat.

Un autre cas marquant en France est celui d’une victime impliquée dans l’affaire “French Bukkake” de 2024. Après avoir découvert que des vidéos non consenties d’elle étaient toujours accessibles, elle a demandé à Google leur déréférencement. Non seulement le processus a été long et inefficace, mais l’affaire a attiré une attention médiatique qui a conduit à la rediffusion accrue des contenus.

  • Diffamation et e-réputation : Lorsqu’une personne ou une entreprise intente une action pour diffamation en ligne, elle court le risque d’exacerber l’attention du public. Par exemple, une entreprise tentant de faire retirer un avis négatif sur un forum peut provoquer un « bad buzz » et une amplification du problème. Cela soulève une question stratégique : faut-il engager une procédure judiciaire, au risque de renforcer la visibilité du contenu litigieux ?

En 2024, l’enseigne de soins esthétiques Body Minute a assigné en justice la créatrice de contenu Laurène Levy pour une vidéo humoristique publiée sur TikTok en 2022. Loin de faire disparaître la vidéo, cette action judiciaire a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux. Le phénomène se développe chaque jour un peu plus, au fur et à mesure que la réputation de la société se ternit.

  • Censure et effet boomerang : L’effet Streisand ne touche pas uniquement les personnes ou les entreprises, mais aussi les produits culturels. 

En 2022, des élus du Rassemblement National et des syndicats de police ont exigé que la Fnac retire de ses rayons le jeu “Antifa, le jeu”, jugé idéologiquement biaisé. Sous la pression, la Fnac a retiré le jeu de la vente. Mais cette décision a provoqué un raz-de-marée médiatique et une forte demande du public, entraînant une rupture de stock rapide et une augmentation des ventes.

  • Secrets d’État et fuites d’informations : L’effet Streisand affecte également la gestion des secrets d’État et des fuites d’informations sensibles. Des tentatives de censure de documents confidentiels publiés par des lanceurs d’alerte, comme ceux de Wikileaks, ont souvent eu pour effet de multiplier leur diffusion via des copies et des miroirs sur le darknet ou d’autres plateformes.

En 2010, l’une des affaires les plus emblématiques dans ce contexte fut la fuite des câbles diplomatiques par WikiLeaks, dirigée par Julian Assange. Les révélations ont exposé des informations confidentielles sur les politiques et les relations internationales de plusieurs pays. Le gouvernement américain a d’abord tenté de censurer et d’empêcher la diffusion de ces documents confidentiels, cherchant à restreindre leur publication. Cependant, les efforts de suppression ont inévitablement conduit à une large diffusion mondiale des informations, alimentée par les médias et le public.

 

Comment éviter l’effet Streisand ?

Les stratégies de gestion de crise numérique doivent intégrer ce risque :

  • Privilégier la communication discrète : Une demande de suppression informelle auprès d’un hébergeur ou d’un administrateur de site peut être plus efficace qu’une action judiciaire médiatisée.
  • Gérer la réputation par le référencement : Plutôt que de chercher à supprimer une information, il est souvent préférable de produire du contenu positif pour diluer l’impact du contenu litigieux dans les résultats des moteurs de recherche.
  • Adopter une approche mesurée : Dans certains cas, ignorer un contenu nuisible est la meilleure stratégie pour éviter qu’il ne prenne de l’ampleur.

L’effet Streisand illustre les limites des stratégies de censure à l’ère numérique et la nécessité d’adopter une approche nuancée en matière de gestion de l’information en ligne. Plutôt que d’essayer d’effacer une information indésirable, il est souvent préférable d’agir avec prudence, en utilisant des stratégies de communication adaptées et en intégrant les spécificités du droit du numérique. 

Ce phénomène rappelle que, sur Internet, la transparence et la stratégie l’emportent souvent sur la coercition, tandis que la censure n’est souvent qu’un catalyseur de la diffusion, un moteur de viralité de l’information.

 

 

Ghanbary Nina 

Master 2 Cyberjustice 2024/2025

 

Image par Copyright (C) 2002 Kenneth & Gabrielle Adelman, California Coastal Records Project, www.californiacoastline.org, CC BY-SA 3.0.

Streisand effect | Definition, Meaning, Examples, & Origin | Britannica 



Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.