You are currently viewing Le tout numérique en France, facteur d’inégalité et de pression sociale sponsorisée par l’État – Partie 2

La France a pris le parti de miser sur la numérisation de ses administrations  dans un but de rapidité et d’amélioration d’accès dans les zones rurales. Il pourra être donné en exemple: l’ANTS, la MSA, Pôle emploi, ou encore les finances publiques (impôts). Cette transition, déjà imaginée et entamée au début de ce millénaire, a été largement accélérée ces dernières années. Si l’objectif est intéressant, tout le monde ne semble pas pouvoir en profiter, problème auquel l’Etat a tenté, plus ou moins bien, de répondre.

Une tentative de prêcher l’internet

La situation qui se dessine suite aux disparités de maîtrise de l’outil informatique ne saurait être confortable, que ce soit pour les utilisateurs, ou pour l’Etat. C’est pour cela que des solutions palliatives ont été déployées. Il pourra surtout en être citées deux :

  • Les ateliers de formation, de différentes natures et pour différents enjeux. Ils peuvent être intégrés directement dans le cursus scolaire pour les enfants (cours d’informatique) ou les étudiants (certifications telle que le PIX). Ces formations peuvent aussi être autonomes pour les actifs et les retraités (plus d’1/3 des personnes âgées de plus de 70 ans n’utilisent pas internet).
  • France Services, qui est un service gratuit de « mise à disposition » d’une personne, ayant été plus ou moins bien formée aux procédures administratives. Le service agit comme un guichet unique, offrant accès à des ordinateurs, utilisés en étant accompagné, pour réaliser ses démarches. Il est censé permettre à tout le monde de pouvoir y accéder.

Si l’initiative est louable, cela n’empêche pas d’avoir toujours des populations qui n’ont pas réellement accès à internet, ou qui n’ont pas les capacités suffisantes pour se débrouiller seuls sur internet. Oui, des formations sont déployées, mais cette réponse reste légère. 

Deux problèmes sont ici identifiables. D’une part, les difficultés d’apprentissage, liées à un trouble, un manque d’intérêt ou de compréhension de l’importance de l’outil. D’autre part, le fait qu’être formé ne réduit pas à néant la possibilité de ponctuellement se trouver face à une difficulté. Même pour une personne à l’aise informatiquement, il n’est pas impossible de se trouver face à une difficulté relative à un questionnaire flou. 

De plus, dans certains cas, la barrière de la langue peut aussi rendre compliquée la compréhension d’une instruction, si une version traduite n’existe pas. Le problème n’est alors plus réellement lié à la compréhension de l’outil ou de la démarche, il reste cependant lié à la limitation de l’accessibilité.

Une transition qui laisse sur la touche ceux qui ont du mal à croire en la numérisation

L’exclusion actuelle, de certains publics en difficulté face à l’informatique, est causée par le rejet total, par l’Etat, de toute interaction humaine. Le but est ainsi de favoriser « l’efficacité » numérique. La transition au tout numérique fait disparaître la possibilité d’alternatives et donc la disparition des personnes avec qui réellement interagir, qui sont spécialisées dans le domaine d’intérêt. Amenant à des situations où les seuls interlocuteurs, souvent le personnel de France Service (tout juste formé de manière générale), peuvent se trouver bloquées comme tout autre personne. Cela conduit à des situations de renvois sans fin entre eux et différents services qui leur répondent plus ou moins efficacement, comme avec tout le monde.

Cette situation d’absence d’interlocuteurs humains est parfaitement assumée. Une décision du défenseur des droits, de 2018, rapportant la réponse du Ministère de l’Intérieur, indique qu’il est prévu depuis 2015 la transition vers le tout numérique pour la demande de nombreux titres. Il est aussi expliqué que le ministère prévoyait que le développement de points d’accès numériques suffirait à permettre l’inclusion de tous les publics. Ainsi, quid de l’autonomie des personnes handicapées, de celles sans accès direct à l’informatique, ou au caractère privé des démarches pour les personnes sans ordinateurs? Ces personnes sont alors obligées de s’en remettre à des points d’accès publics ou forcées de se faire accompagner par un tiers.

Enfin, toute cette situation vient créer un réel souci lié à la prise de risque. Avant, le seul risque que prenait un administré pour faire une demande était de ne pas avoir le bon document et de devoir revenir. Aujourd’hui, la conséquence est, au mieux, de devoir recommencer la totalité de la procédure. 

Un autre risque va alors se développer, cette fois-ci technique, intrinsèque à tout système d’information : le fait de mettre à la charge de tout administré le soin d’être vigilant. Plus que dans notre bon vieux monde physique, le risque en informatique est constant. Ainsi, éviter le phishing ou autres cyber-attaques repose presque entièrement sur l’administré et plus seulement sur les bases de données de l’Etat et ses administrations.

Il n’est donc pas souhaitable de forcer une transition totale, immédiate et surtout sans aucune alternative dans un monde à deux vitesses. 

Thomas BUSSER – Master 2 Cyberjustice

Promotion 2023-2024

Sources :

https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=25921

https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/orne/territoires-france-services-organise-une-operation-portes-ouvertes-2851391.html

https://labo.societenumerique.gouv.fr/fr/articles/barom%C3%A8tre-du-num%C3%A9rique-2022-les-principaux-r%C3%A9sultats/

https://www.vie-publique.fr/eclairage/18930-dematerialisation-quelle-politique-pour-les-exclus-du-numerique

#FractureNumérique #Numérisation #égalité #Informatique

A propos de Thomas BUSSER

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