You are currently viewing L’investigation numérique dans un cas de concurrence déloyale suite à un vol de propriété intellectuelle

L’investigation numérique dans les procédures civiles

L’investigation numérique est une branche de l’expertise légale qui consiste à identifier, acquérir, traiter, analyser et reporter des données stockées électroniquement. Les preuves numériques peuvent être collectées depuis une grande variété de sources telles que les ordinateurs, smartphones, stockage distants, systèmes autonomes, etc. L’objectif principal de l’investigation numérique est d’extraire les données des supports d’origine, de les transformer en preuves exploitables, et de présenter les résultats pour engager des poursuites.

Les experts en investigation numérique du secteur privé interviennent sur des missions variées à la demande de sociétés, mais également parfois de particuliers. Le directeur du pôle forensics de Cartesian Lab, Argit Janaqi, partage avec nous un cas typique de concurrence déloyale entre deux sociétés dans lequel il est intervenu.

Notons que le terme « forensics » vient de l’anglais et désigne toute activité d’expertise légale e.g. balistique, criminalistique, médecine, etc. En français, ce terme est légèrement dévoyé et est restreint à l’expertise informatique. En français quand on dit « forensics » on parle donc d’investigation numérique. Pour nos voisins anglo-saxons il faudrait dire « digital forensics ».

Cas typique : La fuite de données

Une base de données client est considérée comme un secret d’affaire, une propriété intellectuelle et une ressource intangible d’une société.

  1. Trois responsables commerciaux ont quitté la société S, désigné ci-après « S », pour travailler dans la société concurrente directe de S, désigné ci-après « le concurrent ».
  2. Dans les semaines qui ont suivi, S a reçu des emails de marketing non sollicités provenant du concurrent.
  3. S a suspecté que ses trois anciens salariés ont conservé sa liste de diffusion contenant les emails des clients pour l’utiliser chez le concurrent.

Cette liste contenait des emails internes de S, qui servaient à vérifier que la diffusion des campagnes de communication fonctionnait correctement. L’hypothèse est donc que S a reçu les emails du concurrent car la base de données de S n’a pas été nettoyée par le concurrent avant d’être utilisée.

4. L’avocat de S a présenté ces éléments dans une requête sur base de l’article 145 du code de procédure civile. La requête a été acceptée et un juge a validé l’ordonnance autorisant un commissaire de justice (ex-huissier de justice) et tout expert technique de son choix à collecter la base de données client utilisée par le concurrent directement dans ses locaux.

Notons que dans sa requête, l’avocat de S a tenu compte du secret d’affaire du concurrent. Le juge a approuvé cette mesure et l’ordonnance spécifiait donc que S ne pourrait pas obtenir directement le contenu de la base de données client du concurrent, car cette dernière pourrait contenir des clients originaux du concurrent. Seule une comparaison entre les bases de S et du concurrent serait réalisée par le commissaire de justice et l’expert technique.

5. Après la collecte des données aux locaux du concurrent, le commissaire de justice et l’expert technique ont procédé à la comparaison du contenu des deux bases.

6. L’analyse a révélé que la base client du concurrent était similaire à 70% avec la base client de S.

7. Une fois l’analyse terminée et les rapports fournis, les données collectées ont été détruites.

Chaque étape de l’intervention, de l’arrivée aux locaux du concurrent jusqu’à la destruction des données collectées a été consignée par le commissaire de justice dans un procès-verbal de constat.

8. Le procès-verbal de constat ainsi dressé est une pièce utilisable en justice que S peut utiliser contre ses anciens salariés et son concurrent pour vol de propriété intellectuelle.

Art. 145 et Art. 493 CPC comme base légale

La collecte de données réalisée par l’expert technique en présence du commissaire de justice est exécutée sur base d’une ordonnance, dite « ordonnance sur requête », fondée sur les articles 145 et 493 du code de procédure civile.

Dans les prochains articles nous étudierons cette procédure réalisée avant toute plainte ou procès de manière non-contradictoire. Elle permet la collecte et la conservation de toute preuve numérique et physique pour réaliser des investigations et verser des pièces à une procédure légale ou plainte, et ce sans que l’adversaire ne soit alerté avant l’intervention afin d’éviter le risque de destruction de preuves.

Mélanie Ai-Pei Choo

M2 Cyberjustice – Promotion 2023-2024

#Droit #PropriétéIntellectuelle #Données

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