Cet article est en deux parties et est basé sur un entretien avec un ergonome travaillant dans le monde de l’industrie de la défense nationale terrestre.
La première partie, publiée le 20 novembre 2023, définissait l’IA, traitait les préoccupations des industriels face à la place du militaire avec le développement de l’IA et indiquait les problématiques liées au manque de données pour l’IA au service de la défense. Cette seconde partie traite des apports de l’IA à l’armée française mais aussi des craintes de son développement.
L’apport de l’IA à l’armée française terrestre
Le développement de l’IA pour la défense terrestre est évidemment très avantageux. Le législateur en a conscience puisque la loi de programmation militaire 2024-2030 prévoit un budget de 413 milliards d’euros à la « transformation des armées », dont 10 milliards à l’innovation de la défense. Ce budget conséquent donne aux industriels les outils nécessaires pour développer le « combat collaboratif ». Ce projet est inspiré du Network-centric warfare américain et permettrait, à l’aide de l’IA, de numériser et faciliter la circulation d’informations du terrain en temps réel, et ce, dans un cadre interarmées (terrestre, cyber, maritime, aérien).
Concrètement, la progression du combat collaboratif permettrait à une IA de géolocaliser une cible, d’auto-géolocaliser un véhicule ou de faire un scan du terrain en temps réel. Sur ce dernier point, lorsqu’une masse de données est présente sur le terrain tels que le départ de coups (tirs), la présence d’alliés, d’ennemis de cible avec le degré de dangerosité de celle-ci. Il est certain que l’IA pourra aider à être plus rapide à traiter les informations afin de donner une vision claire de la situation. Ainsi, l’IA, dans ce contexte, amènerait un réel gain opérationnel afin de traiter de grandes quantités de données en un laps de temps.
Néanmoins, dans d’autres situations, l’IA s’adaptera moins rapidement que l’Homme. Il s’agit des situations inconnues. Une démonstration a été faite sur un véhicule autonome classique mais cela montre que du côté militaire, le même problème serait rencontré. Il s’agissait d’une voiture autonome qui roulait et qui avait détecté un piéton avec, accroché à son dos, un panneau STOP. La voiture a identifié le STOP et s’est arrêtée plusieurs fois. Elle n’a pas réussi à comprendre qu’il s’agissait en réalité d’un simple piéton et donc, qu’il ne fallait pas s’arrêter.
Cette démonstration a été étudiée par les industriels de la défense qui ont compris que pour l’instant, l’IA qu’il fallait développer était celle qui permettait de traiter des grandes quantités de données afin d’aider l’utilisateur, mais qu’il était difficile de remplacer l’utilisateur. Ce dernier s’adaptera toujours plus facilement à une situation inconnue, situation quotidienne dans le monde de la défense terrestre. La porte n’est cependant pas fermée en cas d’évolution.
Les craintes du développement de l’IA au sein de l’armée française terrestre
La principale crainte du développement de l’IA au sein de l’armée française terrestre est le manque de cadre juridique. Que se passe-t-il en cas de tire fratricide ou d’erreur ? Jusqu’à présent c’est l’humain, en charge de la décision, qui est le responsable, c’est-à-dire le chef d’équipe, selon l’article D4122-2 du Code de la Défense. Néanmoins, en cas de développement de véhicules autonomes pour l’armée, pour l’instant aucune réponse ne peut être apportée. La même problématique est présente pour les véhicules autonomes dans le monde civil. Toutefois, le manque de cadre juridique est d’autant plus important dans le secteur militaire.
Une autre crainte a vu le jour il y a quelques années, celle du développement des « robots-tueurs ». Il est question ici des systèmes d’armes létaux fonctionnant sans aucun contrôle humain. Des négociations sur la création d’un texte juridiquement contraignant venant interdire ces fameux robots-tueurs devraient voir le jour d’ici à 2026. Cependant, l’ergonome interviewé précise qu’il est certain que pour l’armée française, l’idée de concevoir des « robots-tueurs » a vite été abandonnée pour réfléchir à une meilleure façon d’utiliser l’IA. En effet, l’interdiction de ces systèmes d’armes a été rapidement abordée et donc, le projet rapidement oublié.
Enfin, aujourd’hui, de nombreux colloques entre les mondes de la recherche, industriel et militaire sont effectués afin de mûrir leurs réflexions sur l’IA. Les principales questions qui reviennent sont, comment intégrer l’IA pour la rendre efficace dans les futurs véhicules. Et surtout, dans quelles fonctions l’IA pourra avoir un réel apport ? la fonction de mobilité ? celle de feu ? celle de commandement ?
Selon l’ergonome interviewé, « les décisions qu’on prend aujourd’hui vont transformer les activités des opérateurs de demain ». Ainsi, il est certain que le monde de l’industrie de la défense est en pleine réflexion afin d’améliorer, dans les années à venir, le monde militaire terrestre, via l’IA.
Olivia MARTIN
M2 Cyberjustice – Promotion 2023-2024
Source :
https://www.vie-publique.fr/loi/288878-loi-du-1er-aout-2023-programmation-militaire-2024-2030-lpm#_13-milliards-deuros-pour-les-arm%C3%A9es-dici-2030