L’utilisation des technologies numériques ne cesse de se populariser sur le continent africain. Parmi toutes les nouvelles opportunités associées à ces nouveaux outils, le numérique offre un espace sans précédent pour l’expression démocratique. Toutefois, cet espace est menacé par un phénomène appelé « l’autoritarisme numérique ». L’Agence Française de Développement (AFD) s’est penchée sur la question et, en mai dernier, a publié son Rapport sur les libertés numériques dans les pays francophones d’Afrique. Le but de ce document est de dresser un état des lieux des droits et libertés des citoyens afin d’y voir plus clair dans cet univers africain hétérogène.
Les libertés numériques
Le rapport définit les libertés numériques comme « l’ensemble des libertés individuelles et collectives associées au numérique. Ces libertés incluent le droit de maîtriser les logiciels présents sur ses appareils électroniques, le droit à la vie privée et à la protection de ses données personnelles, et la liberté d’information et de communication sans être surveillé ou censuré. ».
L’environnement Internet africain était jusqu’à récemment peu régulé. Depuis quelques années, les gouvernements promulguent différents textes afin de réglementer ce cyberespace, lieu de liberté mais également d’infractions. Toutefois, une tendance législative agressive et répressive semble se dessiner et nuire à la société civile.
Présentation de l’AFD et de l’étude
L’AFD explique sur son site qu’elle « contribue à mettre en œuvre la politique de la France en matière de développement et de solidarité internationale. ». Pour ce faire, elle finance, gère et accompagne des milliers de projets dans plus d’une centaine de pays. Elle se concentre particulièrement sur les pays en développement. Ainsi, de nombreux pays africains sont des bénéficiaires prioritaires de ses activités.
Au-delà de ses projets opérationnels, l’AFD est aussi active dans le milieu de la recherche et de la production de documents comme ce rapport sur les libertés numériques. Ses rédacteurs expliquent que leur démarche était motivée par 2 éléments : le manque crucial de données sur les pays africains francophones (la majorité des données existantes sont éparses ou concernent principalement les pays anglophones) et la forte demande des sociétés civiles locales.
Un espace francophone hétéroclite
D’un point de vue général, les pays francophones africains disposent de peu de lois nationales garantissant les libertés numériques. De plus, nombreux sont les Etats qui ne sont pas encore dotés d’une autorité nationale de protection des données.
A l’échelle continentale, il existe pourtant la Convention de l’Union Africaine sur la cyber sécurité et la protection des données à caractère personnel. Cependant, sur les 26 pays francophones étudiés, seuls 9 ont ratifié ce texte. Avec le dépôt de l’instrument de ratification de la Mauritanie, le 9 mai dernier, la Convention a atteint le seuil des 15 ratifications nécessaires à son entrée en vigueur. S’agissant des conventions à portée globale, il n’y a que 3 pays qui ont ratifié la Convention sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe (ou Convention de Budapest) : le Maroc, Maurice et le Sénégal. La Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (ou Convention 108), quant à elle, a également été ratifiée par ces 3 pays auxquels s’ajoute la Tunisie. Les pays d’Afrique francophone semblent réticents lorsqu’il s’agit d’adhérer aux conventions internationales portant sur le numérique.
S’agissant de la situation des pays, le rapport a mis en place un système de notation qui regroupe 4 catégories en fonction du respect des libertés numériques : A pour « respectées » ; B pour « partiellement respectées » ; C pour « particulièrement en difficulté » et D pour « gravement en difficulté ».
Il n’y a que 2 pays qui ont obtenu la note A : les Seychelles et Maurice. De l’autre côté, 7 pays ont obtenu la note D : le Burundi, le Cameroun, Djibouti, la Guinée Equatoriale, la République Centrafricaine, le Rwanda et le Tchad.
L’Île Maurice, démocratie stable, se distingue par sa solide pénétration d’Internet (65% en 2020), l’absence de blocage/filtrage de contenu, des prix d’accès à Internet avantageux et surtout, une organisation de la société civile en faveur des libertés numériques. En effet, grâce à cette dernière, appuyée par la communauté internationale, un projet de système de surveillance et de censure des médias sociaux a pu être abandonné en 2021.
Le Burundi, quant à lui, souffre de nombreuses difficultés. Le coût d’accès à Internet est très élevé comparé aux revenus des habitants, ainsi, 9% de la population, seulement, déclarait utiliser Internet en 2020. Un média indépendant en ligne (Iwacu) a été bloqué pendant 5 ans et Internet a été restreint lors des élections présidentielles de mai 2020. La législation encadre le type de contenu autorisé à être publié en ligne et est très permissive pour les forces de sécurité et de police en matière de perquisition et de cybersurveillance. La société civile tente de s’organiser afin de faire pression sur les autorités et surtout, faire baisser les coûts d’accès à Internet.
Conclusions du rapport
Finalement, le rapport décerne 5 tendances régionales : un recours à des coupures d’Internet au moment des élections, le déploiement de solutions de surveillance, la pratique de la censure en ligne, l’instrumentalisation de lois sur la cybersécurité et l’absence de législation de protection des données personnelles. Les auteurs formulent également des recommandations pour accompagner et améliorer les libertés numériques.
A l’heure actuelle, ce rapport a été repris par certains médias et récupéré par les sociétés civiles, comme souhaité par l’AFD. Toutefois, il n’y a pas encore eu de réactions ou de critiques officielles de la part des Etats concernés.
Léo Tarpin
M2 Cyberjustice – Promotion 2022/2023
Sources :
– Rapport sur les libertés numériques dans les pays francophones d’Afrique, Agence Française de Développement, mai 2023.
– Webinaire de présentation du rapport organisé par l’Agence Française de Développement le 22 juin 2023.
– https://au.int/en/treaties/african-union-convention-cyber-security-and-personal-data-protection
– https://www.coe.int/en/web/portal