You are currently viewing Le sharenting, une pratique bientôt encadrée par la loi

Un enfant apparaît en moyenne sur 1 300 photos et vidéos avant l’âge de 13 ans. Comment expliquer ce phénomène, alors que l’âge requis pour créer un compte Facebook ou Instagram est de 13 ans ? Avec l’essor des réseaux sociaux, les jeunes parents publient massivement leur quotidien, y compris celui de leurs enfants. 

Le sharenting 

Le fait pour un parent de publier des photos et des vidéos de son enfant sur les réseaux sociaux est appelé le sharenting. Ce mot est issu de la jonction de deux termes anglais : sharing (partager) et parenting (parentalité). Que ce soit les premiers pas, des moments intimes en famille, en passant par de mauvaises farces (« pranks » en anglais) faites par les parents, tout est documenté et partagé, se retrouvant ainsi sur Internet.

Les risques 

Le consentement de l’enfant n’est pas souvent recueilli avant la publication du contenu dans lequel il apparaît. Si le consentement existe, il n’est généralement pas libre et éclairé, notamment en raison du jeune âge de l’intéressé. Ainsi, exposer la vie privée d’un enfant peut présenter des risques.

D’après le « Rapport annuel 2022 – La vie privée : un droit pour l’enfant » du Défenseur des droits de l’enfant, l’exposition publique des enfants peut porter atteinte à leur e-réputation, et peut in fine être la cause de cyberharcèlement. Dans certains cas, les pranks faits par les parents peuvent également générer des troubles psychologiques chez l’enfant, un manque de confiance en soi, voire un problème d’acceptation de son image. Un exemple : sur les réseaux sociaux, une des tendances en vue était le prank « Nutella caca.», qui consiste à faire croire à l’enfant qu’il n’a pas du Nutella entre les mains, mais de la matière fécale. 

Selon une étude britannique reprise par Bruno Studer, député Renaissance du Bas-Rhin, 50% des photos se trouvant sur les sites illégaux présentant des abus sexuels commis sur des enfants ont initialement été publiées par leur parents sur Internet. En effet, les photos dénudées des enfants, généralement prises et diffusées sur les réseaux sociaux de manière innocente, peuvent être manipulées et décontextualisées. Elles se retrouvent ainsi sur des forums pédopornographiques.

Toujours selon Bruno Studer, la publication de contenus exposant l’enfant peut, dans certains cas, être assimilée à une forme d’exploitation, voire à des violences éducatives ordinaires. En effet, grâce à l’apparition de l’enfant sur les photos ou vidéos, les parents peuvent monétiser leur compte sur les réseaux sociaux : leur enfant permettra d’augmenter le nombre de vues ou de « likes », engendrant une surexposition de l’enfant, et in fine, une forme d’exploitation. A ce sujet, le député rappelle qu’il existe déjà une loi relative aux enfants influenceurs, datant de 2020.

La proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants

En janvier 2023, les députés Renaissance Bruno Studer, Aurore Bergé et Éric Poulliat ont déposé une proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants. Après avoir été adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat, respectivement en mars et en mai, les deux chambres doivent se réunir prochainement en commission mixte paritaire pour trouver un compromis sur le texte définitif. 

Le texte prévoit notamment : 

  • Une modification de l’article 371-1 du Code civil avec l’introduction expresse de la notion de vie privée dans la définition de l’autorité parentale. Les parents devront veiller au respect de la vie privée de leur enfant, en ne faisant pas mauvais usage de son image. 
  • Une modification de l’article 373-2-6 du Code civil, nécessitant l’accord des deux parents avant la diffusion de contenus relatifs à l’image de leur enfant. 

Le Sénat a également adopté un amendement qui permettrait à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) de saisir les juridictions compétentes pour demander le blocage d’un site internet en cas d’atteinte aux droits des mineurs. 

La protection des mineurs est essentielle au regard de l’avènement des réseaux sociaux et de la monétisation de leur contenu. Plusieurs lois ont été adoptées à cette fin, que ce soit en 2016 pour favoriser le droit à l’oubli des mineurs, ou, comme précitée, la loi de 2020 permettant d’élaborer un cadre juridique pour les enfants influenceurs. Cette proposition de loi s’inscrit donc dans une volonté du législateur de lutter contre les dérives d’Internet et de renforcer les droits des mineurs. 

Les parents doivent prendre conscience qu’en diffusant du contenu relatif à la vie de leur enfant, ils exposent ce dernier à des risques graves. Le législateur tente ainsi d’encadrer le comportement parental à l’aune d’Internet : le mineur doit comprendre que les parents ne disposent pas d’un droit absolu sur son image.

 

Hannah Siegrist

M2 Cyberjustice – Promotion 2022/2023

 

Sources :

 

A propos de Hannah Siegrist