La plateforme Twitch est aujourd’hui largement dominatrice dans son domaine d’activité. Appartenant au groupe Amazon, il est possible d’y regarder des personnes, appelées streameurs, diffuser du contenu en direct. Ces diffusions sont principalement centrées sur le jeu vidéo. Cependant, le contenu s’élargit de plus en plus ces dernières années. Les vidéos s’accompagnent d’un chat textuel propre à chaque streameur qui permet aux spectateurs de communiquer. C’est cette fonctionnalité qui peut être détournée à des fins de cyberharcèlement.
Les femmes parlent de leur enfer
En cette fin d’année 2022, plusieurs voix féminines se sont élevées pour dénoncer une situation devenue invivable. En effet, leur chat personnel est régulièrement utilisé pour leur adresser des commentaires misogynes, insultants, voire des menaces de viol ou de mort. La plateforme offre la possibilité de bannir les utilisateurs ayant un tel comportement, mais le mal est déjà fait.
Par ailleurs, ces agissements ne s’arrêtent généralement pas à la plateforme Twitch. Même sur leurs réseaux sociaux ou sur leurs numéros de téléphone personnels, elles sont victimes de menaces violentes ou font l’objet de montages photo pornographiques. La mise en lumière de ce quotidien a suscité de nombreuses réactions dans le milieu du jeu vidéo.
Des premières réactions légales
La réponse à ces agissements ne s’est pas arrêtée au stade de la dénonciation. La streameuse « Ultia » a ainsi annoncé avoir déposé plainte pour la seconde fois en décembre 2022. Cette dernière fait en effet l’objet d’une vague de cyberharcèlement depuis un an pour avoir dénoncé un comportement misogyne en direct sur sa chaîne Twitch. D’autres streameuses ont déclaré avoir déjà déposé des plaintes pour des comportements similaires.
En France, le cyberharcèlement est une infraction pénale. Il est sanctionné par l’article 222-33-2-2 du Code pénal qui définit le harcèlement comme « des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». Plus précisément le cyberharcèlement concerne des faits qui « ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique ». Il est puni de deux ans d’emprisonnement et 30 000€ d’amendes.
Cependant, les procédures judiciaires sont longues et parfois inadaptées. Par exemple, le site gouvernemental dédié à la cyber malveillance conseille, en cas de cyberharcèlement, de « verrouill[er] au plus vite les comptes de réseaux sociaux ». Cette solution peut être utile pour certaines victimes. Mais pour des personnes dont l’activité professionnelle dépend de ces réseaux, cela n’est pas adapté.
Par ailleurs, les critiques se tournent également vers la plateforme Twitch. En effet, aucune mesure n’est prise par cette dernière pour protéger les femmes. Au contraire, la modération du chat est de la responsabilité des streameurs. Il peut être surprenant de remarquer que les conditions générales de Twitch comportent la phrase : « vous utilisez les services Twitch à vos risques et périls ». Face à une telle inaction, les streamers français se sont organisés.
Une réponse forte et solidaire
La réponse a un nom : « Place de la paix ». C’est un outil mis en ligne le 20 décembre 2022. Son objectif annoncé est de « contribuer à la lutte contre le harcèlement, le sexisme et la misogynie que subissent les streameuses ». Cette initiative part d’un constat malheureux : la plupart des harceleurs sont des hommes qui ne sont pas réellement intéressés par le contenu de leur victime. Dès lors, la seule sanction possible, à savoir le bannissement, n’est en réalité pas dissuasive. Place de la Paix permet d’inscrire une personne au comportement déplacé sur une liste. Cela aura pour effet de la bannir automatiquement de toutes les chaînes Twitch participant à l’opération. Ainsi, cette proposition est fondée sur la solidarité au sein de la scène Twitch francophone. Plus la liste des streameurs participants sera grande, et plus il y a de chances que la sanction soit dissuasive pour quelqu’un souhaitant visionner du contenu sur Twitch.
Quelques critiques ou craintes d’un trop grand pouvoir laissé à un petit nombre de personnes ont pu être émises. Cela ne règle pas non plus le problème du harcèlement sur les réseaux sociaux personnels des différentes victimes. Cependant, il est pour l’instant plus pertinent de relever l’effort et la volonté de faire avancer la plateforme dans une direction plus sûre pour tous ses utilisateurs, mais surtout ses utilisatrices. Il faut espérer que cette initiative apporte un peu de sérénité aux femmes sur ce qui doit être considéré comme leur lieu de travail.
Lilian Vasseur
M2 Cyberjustice – Promotion 2022/2023
Sources :
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