Entre outil de spéculation et révolution du marché de l’art, les NFTs font polémiques dans le domaine artistique.
Pour rappel, le terme de « NFT » est l’acronyme de « Non-Fongible Token » ou jeton non fongible en français. Il s’agit d’un objet numérique inscrit dans une blockchain et qui peut être protéiforme : fichier vidéo, audio, image… tout en restant non-fongible.
Focus sur la notion dans le domaine artistique
Il faut mettre la lumière sur le caractère « non-fongible » du jeton. Un objet est dit fongible quand il peut être remplacé par un objet de même valeur, comme deux billets de montants égaux. A contrario, il est impossible d’échanger une œuvre d’art unique – comme un NFT – contre une autre à valeur strictement identique (contrairement à la cryptomonnaie).
Bien que dématérialisés, les NFTs ne sont pas toujours sans lien avec le réel. Le fondateur de Museum of Crypto Art, Benoît Couty a d’ailleurs avoué qu’avant son investissement dans cet « art », il ne s’était jamais penché sur l’art en général et que c’est ce qui l’a poussé à s’intéresser au domaine de l’exposition.
Smart contrat et mode de preuve
Une fois le jeton généré, il s’inscrit dans une blockchain qui permet la création de smart contract ou « contrat intelligent » qui va dès lors impliquer des aspects juridiques. Mais en réalité, lorsque le token est conçu, il contient un ensemble de métadonnées qui ne sont pas directement inscrites dans la blockchain. En effet, l’œuvre d’art est stockée sur une plateforme et un lien URL, qui lui est inscrit dans le smart contract, va renvoyer vers le fichier numérique associé.
Ce dernier permet de garantir, entre autres, l’authenticité d’une œuvre, ainsi que sa traçabilité via l’inscription dans une blockchain.
La blockchain aurait une force probante difficile à contester, le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique, sur les dispositifs d’enregistrement électroniques partagés (DEEP) avait déjà déclaré que : « En matière probatoire, si aucun texte juridique ne mentionne spécifiquement la blockchain, il n’en résulte pour autant aucun vide juridique (…) les preuves issues des chaînes de blocs peuvent aujourd’hui être légalement produites en justice. Il appartient au juge d’évaluer leur valeur probante, sans que celui-ci ne puisse les écarter au seul motif qu’elles existent sous forme numérique ».
Ainsi, dans le cadre des smart contracts, il en va donc de même pour la force probante d’un NFT, même si le constat d’huissier devra toujours se faire à l’aide d’un système d’ancrage dans la blockchain. C’est par exemple le cas de l’œuvre de Mike Beeple[1], une des plus chères à ce jour, vendue par la maison Christie’s le simple fait que l’œuvre soit un NFT a permis très facilement d’authentifier l’œuvre qui est protégée par la blockchain. La maison a d’ailleurs justifié sa démarche en précisant que les NFTs permettent justement de garantir l’authenticité d’une œuvre de manière permanente et sécurisée
Evolution du marché de l’art
Le 28 février 2022 une nouvelle loi est adoptée afin de moderniser la régulation du marché de l’art. Celle-ci ajoute un détail important en ce qui concerne l’ancien article 320-1 du Code de commerce : elle inclut désormais les « meubles incorporels » à la vente de meubles.
Des premières ventes ont d’ores et déjà été réalisée. Celles-ci permettent de nous donner une idée de la valeur que peuvent avoir ces biens numériques : les prix variant entre des dizaines et des centaines de milliers d’euros.
Les maisons de vente recommandent la création préalable d’un wallet, outil permettant de les stocker avant une quelconque acquisition de NFT. Le détenteur peut ensuite en profiter sur son navigateur, sur des plateformes dédiées en ligne ou sur un écran accroché au mur.
Suite à la récente règlementation précitée et au sens de l’article L.122-8 du CPI, le droit de suite devrait a priori s’appliquer en cas de revente d’un NFT par le biais d’une plateforme ou, par le biais d’une vente publique aux enchères. Aussi, l’application de ce droit devrait être automatique dès lors que le NFT créé porte sur une œuvre plastique.
Mais les plateformes de création semblent répondre d’emblée à la question en mettant automatiquement un droit de suite sur les NFTs. Il est facile pour l’auteur de l’œuvre de suivre les transmissions de façon certaine grâce aux smart contracts, et donc d’éviter les cessions non autorisées. Cela permet à son auteur de percevoir un pourcentage du prix de revente du NFT, sous forme de royalties.
Néanmoins, les NFTs restent encore peu couvert d’un point de vue réglementaire, puisqu’à l’heure actuelle c’est davantage le smart contract qui est protégé que le NFT en lui-même. Aussi l’on peut se demander si ce contrat doit faire directement référence au droit de suite pour qu’il puisse s’appliquer. Des précisions sont à observer à l’avenir.
Elsa Moriceau
Sources :
- « Le crypto art investit l’espace réel, à Paris » Emmanuelle Jardonnet, 15 décembre 2021, Le Monde https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/12/15/le-crypto-art-investit-l-espace-reel-a-paris_6106140_3246.html
- « Le droit du NFT : les enjeux juridiques d’un encadrement légal des NFTs », Emmanuelle Chevalier et Georges Tchikaidze, 4 février 2022, Village de la justice https://www.village-justice.com/articles/droit-nft-les-enjeux-juridiques-encadrement-legal-des-nfts,41526.html
- « Les NFT et le droit : état des lieux juridique », Me Veronique Piguet, 7 février 2022, Village de la Justice https://www.village-justice.com/articles/nft-ovni-juridique,41584.html?utm_source=dlvr.it&utm_medium=linkedin&utm_campaign=RSS
[1] L’œuvre a été mise aux enchères et vendue à 69 346 250 $