Depuis la fin de l’année 2018, la commune de Moirans avait reçu l’autorisation du préfet de Grenoble (38) d’utiliser un système de vidéosurveillance. Dès lors, un réseau de cinquante caméras avait été déployé dans cette ville iséroise de près de 8 000 habitants. Cependant, ce dispositif de surveillance avait été associé au logiciel Briefcam, soulevant ainsi des interrogations quant à la conformité de son usage avec le cadre légal existant.
- Le logiciel Briefcam
Briefcam est un logiciel qui est associé aux images de vidéosurveillance et sur lesquelles il va effectuer un traitement algorithmique. Il dispose de trois fonctions :
- Review
Cette fonction utilise la reconnaissance faciale, exploitant des données en provenance de sources en ligne et hors ligne. Elle permet d’effectuer une recherche multi-caméra et de reconnaître des visages à partir des similarités détectées : elle analyse les images. Cette fonctionnalité autorise l’application de filtres tels que le sexe, la taille, le type de vêtements, mais également l’analyse des comportements et des déplacements des individus. Le niveau de précision peut être ajusté en fonction des besoins de l’opérateur.
- Research
Il a pour objectif d’analyser les tendances, faire des planifications et plus globalement de permettre l’exploitation des renseignements décelés dans l’analyse vidéo.
- Respond
Cette fonctionnalité permet de générer des réponses proactives sous forme d’alertes, de notifications et de rapports détaillés, permettant ainsi une intervention rapide en cas d’incident détecté.
- L’introduction de la requête
La découverte de l’utilisation de ce logiciel a été faite lorsqu’un habitant de la commune a demandé des renseignements sur les deux caméras orientées sur l’allée devant son domicile. Il joint alors sa requête avec la Quadrature du net. Il s’agit d’une association de défense et de promotion des droits des utilisateurs d’internet. Les parties invoquent une violation du droit à la vie privée en vertu de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 4 de la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978.
Par ailleurs, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) avait réalisé le 7 novembre 2023 un contrôle dans le cadre de ses fonctions, avait constaté que le logiciel était utilisé principalement par la police municipale, surtout pour les dépôts de déchets sauvages, la dégradation du mobilier urbain et la reconnaissance des plaques d’immatriculation. Elle avait cependant validé l’interprétation juridique fournie par la commune ne condamnant pas son utilisation.
La maire actuelle de la ville, Valérie Zulian, annonce que le logiciel n’est plus utilisé depuis fin novembre 2024. Cependant ce débat dépasse les enjeux locaux.
- Ce que dit le droit
L’utilisation de ces caméras est condamnée dans une décision du 24 janvier 2025 délivrée par le tribunal administratif de Grenoble. La Cour considère que le traitement des données et en l’occurrence leur collecte, doit répondre à des finalités légitimes. Cela signifie qu’une justification ainsi que des garanties particulières doivent être données pour l’utilisation de ce système de reconnaissance faciale, prohibé par principe.
Or il s’avère qu’aucune finalité ni garantie n’ont été fournies par la commune, pas même des données importantes relatives à la zone géographique couverte, au type de données traitées ou encore à la durée des traitements. Il s’avère que l’autorisation donnée par le préfet de l’Isère ne concernait qu’un système de vidéosurveillance et non un traitement algorithmique des images collectées. Le Tribunal annule donc la décision prise par la commune d’utiliser le logiciel Briefcam.
La Quadrature du Net, qui demandait l’arrêt de l’utilisation du logiciel dans la commune dans cette décision, crie « victoire totale » et prend cette décision comme une grande avancée, le Tribunal allant à l’encontre de ce qu’avait déclaré la CNIL.
L’association qui parle d’une victoire sans précédent dans la lutte contre la vidéosurveillance algorithmique, prévient que les villes devront s’adapter, les habitants pouvant demander l’arrêt de leur utilisation.
À l’avenir, la CNIL devra sanctionner les villes utilisant ce logiciel, ou tout autre pratique de vidéosurveillance algorithmique.
Julia BERTHAUD
M2 Cyberjustice – Promotion 2024/2025
Sources :
https://www.laquadrature.net/2025/01/30/la-justice-confirme-enfin-lillegalite-de-briefcam/