Depuis le 5 octobre 2023, une initiative novatrice a pris forme au sein des services publics français sous l’égide de Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction Publiques. Cette entreprise ambitieuse consiste à intégrer l’intelligence artificielle générative dans le quotidien des agents du service public pour optimiser leurs tâches et renforcer le lien avec les citoyens.
La volonté de révolutionner le service public
Cette démarche stratégique repose initialement sur l’expérimentation de l’intelligence artificielle au sein des services publics, ayant pour but de transformer le rapport au travail dans ce secteur (qui est le plus grand secteur employeur de France). Le Ministre Stanislas Guerini conscient des mutations technologiques en cours, est déterminé à éviter que la fonction publique ne “subisse” ces changements, mais qu’elle devienne une utilisatrice active et consciencieuse de l’intelligence artificielle.
Pour Stanislas Guerini “Grâce à la numérisation, les agents pourront consacrer plus de temps au contact humain“. En d’autres termes, l’utilisation des intelligences artificielles doit être vue comme une valeur ajoutée et va permettre de promouvoir un service public plus efficace et plus humain.
L’appel à une startup américaine pour la transition
Dans le cadre de cette transition expérimentale, l’État a fait appel à la start-up américaine Anthropic et à son modèle de langage (LLM) nommé Claude. Intégré à la plateforme Service-public.fr via un bouton “Générer réponse (IA)”, ce modèle de langage permet de générer des réponses automatisées en fonction des demandes et avis des citoyens. Pour autant, il est important que les agents des services veillent à la surveillance des réponses apportées par les intelligences artificielles. Ces textes seront donc systématiquement révisés et corrigés par les agents humains avant d’être transmis aux demandeurs. Une première mise en œuvre est faite à petite échelle puisque seuls 1000 agents volontaires sont désormais équipés avec un outil utilisant l’intelligence artificielle.
Un objectif d’efficacité et de protection
Cette intégration d’outils basés sur l’intelligence artificielle a pour objectif de permettre aux agents d’être plus efficaces dans certaines tâches spécifiques, gagnant ainsi du temps pour favoriser un contact plus humain avec les Français. Il semblerait que l’intelligence artificielle permettrait, en automatisant certaines tâches, de gagner plusieurs heures par jour. Les agents du service public estiment que les tâches sont cinq fois plus rapides en moyenne. Le gain de plusieurs heures par jour dans les services publics n’est pas négligeable. Selon eux, cela leur permettrait de prendre plus de temps pour traiter des dossiers nécessitant un accompagnement personnalisé. La satisfaction des usagers est relativement élevée puisqu’elle serait de 64 % (chiffre en augmentation de 10 % depuis l’usage des IA).
En ce sens, cette expérimentation sera probablement élargie aux agents des maisons France services. France service est une structure qui combine accueil physique et accompagnement numérique, et qui regroupe en un même lieu plusieurs services publics. Cet élargissement aura pour but d’accompagner les usagers au guichet par la suite (aucune date n’est fixée pour le moment).
Une innovation non exempte de risques
Toutefois, cette innovation présente des failles, il est alors important de garder un contrôle humain sur ces interactions. En effet, lorsque les demandes sont complexes, l’intelligence artificielle, au lieu de reconnaître un manque de connaissances, va inventer une réponse. Si aucune correction n’est apportée, les usagers seront donc induits en erreur. Certains considèrent que les IA utilisées par les services publics sont des “perroquets statistiques”, ils ne font que répéter des mots trouvés dans divers documents qui ne sont pas forcément fiables. Ces modèles d’intelligence artificielle apprennent des modifications qui leur sont faites, des données qui leur sont transmises… Cela pourrait, en cas d’erreur, accroître la possibilité de dysfonctionnements en chaîne si aucune correction ne venait à être apportée.
Pour exemple, aux Pays-Bas en 2021, le gouvernement a été contraint à la démission suite à de nombreuses erreurs de la part des intelligences artificielles. Ces dernières étaient utilisées pour détecter les fraudeurs aux prestations familiales. Suite à ces erreurs, 35 000 familles ont été accusées à tort, faute de vérification par les agents. Ces accusations ont eu des conséquences dramatiques sur ces usagers. Alors même que le ministère français de la transformation publique affirme qu’un tel profilage ne sera pas possible, il est nécessaire de rester méfiant à l’égard de ces automatismes. D’autres problèmes sont à garder en tête, tels que la protection de l’e-identité, la protection des données personnelles, ainsi que les risques qu’occasionnent les prises de décisions automatisées (qui pourront être adoptées si le système fait ses preuves).
Un projet de modèle souverain pour le futur
Parallèlement à cette expérimentation, l’État s’est engagé à maîtriser cette technologie. Des travaux sont déjà en cours pour créer un modèle souverain en open source, spécifiquement adapté aux besoins internes. L’objectif est de spécifier des modèles génériques pour mieux les ajuster aux particularités des agents et des usagers, optimisant ainsi les résultats obtenus.
Cette incursion de l’État dans le domaine de l’intelligence artificielle générative représente une première étape audacieuse, prometteuse et adaptative pour moderniser les services publics français. Cette expérimentation permet aussi de préserver l’aspect humain essentiel dans la relation avec les citoyens. Encore faut-il attendre la version souveraine pour une protection étatique optimale de nos données, ainsi qu’une meilleure adaptation à nos services publics.
Dunice DAIGRIER.
M2 Cyberjustice – Promotion 2023/2024
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