L’accord récemment conclu entre le quotidien Le Monde et l’éditeur de ChatGPT, OpenAI, marque un tournant majeur dans la relation entre les systèmes d’intelligence artificielle (IA) générative et le journalisme.
Ce partenariat explore les possibilités créatives de l’IA tout en mettant en lumière les défis juridiques liés aux droits d’auteur, grâce à une collaboration experte dans ce domaine en constante évolution.
Les défis du droit d’auteur face à l’IA
Les avancées de l’intelligence artificielle, notamment des systèmes génératifs, soulèvent des questions majeures en matière de droit d’auteur, surtout en France où les droits patrimoniaux et moraux sont très importants.
Dans ce contexte, les œuvres sont utilisées dans l’entraînement des IA génératives comme données d’entrée pour enseigner aux algorithmes à créer de nouveaux contenus. Ces contenus incluent des images, des textes ou des vidéos protégés par le droit d’auteur.
Cette pratique soulève des préoccupations quant à la légalité de l’utilisation de ces œuvres sans autorisation, ainsi que sur les droits des créateurs originaux concernant leurs œuvres utilisées de cette manière.
Faut-il réinventer le droit d’auteur à l’ère de l’IA ?
Les débats économiques et juridiques autour de l’intégration de l’IA dans la production de contenu mettent en évidence une tension fondamentale entre l’innovation technologique et la préservation des droits des créateurs. Alors que les systèmes génératifs offrent indéniablement de nouvelles possibilités créatives, ils soulèvent également des préoccupations quant à la protection des droits d’auteur des œuvres utilisées comme données d’entrée.
Dans ce contexte, les exceptions au droit d’auteur jouent un rôle essentiel. Par exemple, la fouille de texte et de données (TDM) est une pratique courante dans la recherche scientifique, permettant d’extraire des informations à partir de vastes ensembles de données textuelles. Cependant, son statut juridique en matière de droit d’auteur est souvent flou, car elle implique la reproduction et la transformation d’œuvres protégées.
De même, le droit d’opposition donne aux individus le pouvoir de s’opposer à l’utilisation de leurs œuvres dans le cadre de l’intelligence artificielle. Dans le domaine de l’IA, où des ensembles de données massifs sont nécessaires pour entraîner les modèles avec succès, l’application pratique de ce droit peut être complexe et son efficacité peut être limitée.
Ainsi, bien que les exceptions au droit d’auteur puissent être cruciales pour permettre l’innovation et la recherche, leur mise en œuvre dans le contexte de l’IA soulève des défis uniques. Ces enjeux nécessitent une réflexion approfondie et une adaptation des cadres juridiques existants.
La bataille juridique : le New York Times contre le géant de l’IA
En décembre 2023, une confrontation majeure a éclaté entre le New York Times, OpenAI et Microsoft, mettant en lumière les enjeux complexes entourant le droit d’auteur dans le domaine de l’intelligence artificielle.
Ce différend a émergé en raison d’accusations de violation du droit d’auteur impliquant l’utilisation de contenus protégés par le New York Times dans des modèles d’IA génératives développés par OpenAI, en collaboration avec Microsoft.
Ces évolutions ont généré de vifs débats quant à la légitimité de l’application du fair use dans le cadre de l’entraînement des intelligences artificielles avec des données soumises au droit d’auteur.
Le fair use est une exception du droit d’auteur aux États-Unis qui autorise l’utilisation raisonnable de matériel protégé sans l’autorisation expresse du titulaire des droits, sous des conditions spécifiques.
Cette confrontation juridique est susceptible d’avoir des implications significatives sur la façon dont les entreprises et les chercheurs peuvent utiliser des contenus protégés par le droit d’auteur dans le développement et l’entraînement de l’intelligence artificielle.
Journalisme et intelligence artificielle : une collaboration prometteuse ou un pacte faustien ?
Alors que les débats sur l’utilisation des œuvres protégées par le droit d’auteur dans les IA génératives sont animés, une autre voie se dessine à travers des partenariats entre les médias et l’intelligence artificielle, favorisant une coexistence harmonieuse de l’innovation et de l’intégrité éditoriale.
Des accords récents, tels que celui entre Axel Springer et OpenAI, suivi par celui entre Le Monde et OpenAI en mars 2024, ouvrent de nouvelles perspectives pour le journalisme et l’information. Pourtant, ces alliances soulèvent également des questions sur la propriété intellectuelle et la responsabilité éditoriale dans un paysage médiatique transformé par les technologies de l’IA.
Pour conclure, la fusion entre l’intelligence artificielle et la créativité humaine promet de composer une symphonie pour l’avenir, nécessitant une coordination précise et une attention minutieuse pour privilégier une innovation responsable. Cette collaboration consciente et réfléchie implique l’adoption d’une approche délibérée dans la conception, le développement et l’utilisation de l’IA dans le domaine de la création. Cela comprend la mise en place de directives éthiques et de réglementations appropriées.
Dans ce théâtre de la création numérique, le watermarking émerge comme une méthode cruciale pour protéger la propriété intellectuelle.
Le watermarking consiste à intégrer discrètement des informations spécifiques dans les médias numériques tels que des images, des vidéos ou de la musique.
Cette technique, bien que critiquée à de nombreux égards pour son efficacité opérationnelle concernant la traçabilité, fournit une empreinte invisible qui est attribuable aux créateurs.
Emma Wack Wendling
Master 2 Cyberjustice – Promotion 2023/2024
Sources :
- A. Bensamoun, To be or not to be…transparent – Pour un principe matriciel de transparence dans l’environnement numérique, Dalloz Actualité, 3 décembre 2023
- Selon A. Bensamoun, membre du Comité de l’intelligence artificielle générative, lors de l’Audition du 20 décembre 2023 au Sénat, Droit d’auteur face au défi de l’intelligence artificielle
- Bruguière, J. Deltorn, Intelligences artificielles génératives. Y a-t-il exploitation des œuvres, au sens du droit d’auteur ? N’y aurait-il pas d’autres modèles à considérer ? Recueil Dalloz 2023 p.1657
- Wang, IA et création : pas de régulation par le droit d’auteur, Dalloz actualité, 10 mai 2023
- Memorandum of Agreement for the 2023 WGA Theatrical and Television Basic Agreement
- New York Times Sues OpenAI and Microsoft Over Use of Copyrighted Work – New York Times
- Intelligence artificielle : un accord de partenariat entre « Le Monde » et OpenAI – Le Monde
- Intelligence artificielle : OpenAI, le créateur de ChatGPT, annonce un accord inédit avec le groupe de médias Axel Springer – Le Monde