Les médias, qu’ils soient audiovisuels, audio, iconographiques, écrits, ou en ligne, sont soumis à des contraintes économiques. Il apparaît ainsi clairement que seules les personnalités les plus fortunées, souvent dotées d’un avis politique affirmé, peuvent investir dans ces domaines. L’aspect intrigant de ces investissements est qu’ils ne semblent pas être motivés par des retours financiers conséquents, comme en témoigne le déficit financier de CNews ces dernières années. Cette situation soulève des interrogations quant à la finalité de ces investissements, suscitant une réflexion sur une potentielle motivation politique.
Partant de ce postulat, les médias se révèlent être des acteurs-clés au sein de la scène politique, mettant en lumière ces enjeux à travers les émissions télévisées, les articles de presse et les réseaux sociaux.
Une guerre à travers les écrans
Depuis la diffusion d’un épisode de Complément d’enquête consacré au Puy du Fou, le 7 septembre 2023 sur France 2, le parc vendéen est au cœur d’une polémique judiciaire. Philippe de Villiers, ancien candidat aux élections présidentielles, figure politique de droite (voire d’extrême droite) et propriétaire du parc, a annoncé son intention de déposer deux plaintes, dont l’une pour diffamation et l’autre pour contestation du génocide vendéen. En raison de la proximité entre Philippe de Villiers et Vincent Bolloré, les médias du groupe de ce dernier, dont CNews, Europe 1 et le Journal du Dimanche, ont lancé une contre-attaque. Ils ont accusé France Télévisions de propager de la désinformation avec des fonds publics, défendant ainsi le Puy du Fou et son propriétaire.
Cet affrontement médiatique démontre que les médias participent activement à une guerre politique par leur biais. Il met en exergue des enjeux démocratiques cruciaux, tels que l’influence sur l’opinion publique et le processus électoral, soulevant ainsi des questions fondamentales sur la transparence et l’équité au sein du débat public.
Quand les médias deviennent des outils politiques
L’impact des médias sur la sphère politique lors des élections présidentielles, influençant les opinions politiques et les choix des électeurs, a été particulièrement illustré en 1996. C’est à cette époque que le milliardaire australien-états-unien à la tête de multiples médias, Rupert Murdoch, a lancé Fox News. Bien que se déclarant impartiale, cette chaîne d’information continue s’est activement engagée dans la campagne du Parti républicain, soulignant ainsi le rôle crucial des médias dans la formation de l’opinion publique.
Les conclusions de chercheurs, tels que DellaVigna et Kaplan (2007), indiquent que la diffusion de Fox News sur différentes chaînes du câble aurait influencé le vote de ses téléspectateurs en faveur du candidat républicain George W. Bush lors des élections présidentielles de 2000. Entre 1996 et 2000, cet impact, connu sous le nom de « l’effet Fox News », aurait convaincu entre 3 et 28 % des téléspectateurs de voter pour ce parti.
Au-delà de l’influence médiatique aux États-Unis, un phénomène similaire se manifeste en France, soulignant ainsi sa portée mondiale. Une récente étude, “Hosting Media Bias : Evidence from the Universe of French Broadcasts, 2002-2020”, dirigée par Julia Cagé, Moritz Hengel, Nicolas Hervé et Camille Urvoy, met en lumière l’impact de la prise de contrôle de Canal+ par Vincent Bolloré. Avant son rachat, la chaîne I-Télé, devenue CNews, avait un auditoire politiquement diversifié, voire orienté légèrement à gauche. L’étude démontre cependant qu’après la prise de contrôle, la chaîne a progressivement connu un déplacement d’orientation politique vers la droite, puis l’extrême droite, avec une augmentation de 20% du temps de parole accordé à ce courant politique. Cette évolution crée un paysage médiatique biaisé, influençant l’opinion publique et, par extension, les choix électoraux de certains citoyens. Certains considèrent même que CNews est devenu l’équivalent français de Fox News.
Ces exemples illustrent de manière frappante la façon dont le manque de diversité d’opinions crée un déséquilibre susceptible de faire pencher l’opinion publique dans une direction particulière.
Les défis du pluralisme médiatique en période électorale
En période électorale, les médias deviennent des outils cruciaux pour les figures politiques qui les utilisent afin de communiquer leurs programmes et influencer les citoyens en faveur de leur parti. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) surveille et contrôle les médias pendant les campagnes, assurant à chaque candidat une exposition médiatique équitable à travers les chaînes de télévision et de radio. Bien que les règles relatives au temps de parole soient respectées, les études menées par Julia Cagé démontrent que la diffusion des différents partis n’est pas simultanée, favorisant certains partis aux heures de grande audience. La Chaîne info, aussi connue sous le nom de LCI, contournait par exemple ces règles en diffusant les meetings des Verts pendant la nuit, quand l’audimat est moindre.
Un autre problème évident concerne les règles de pluralisme qui ne régissent que le temps de parole des personnalités politiques et non pas celui des éditorialistes. Certaines chaînes privilégient ainsi la présence d’éditorialistes au détriment des programmes d’information. Jusqu’à sa candidature aux élections présidentielles de 2022, à savoir jusqu’en septembre 2021, Éric Zemmour était notamment considéré comme tel, ce qui lui a largement permis d’exprimer ses opinions.
Récemment, l’Arcom a élargi sa liste de personnalités politiques réglementée en temps de parole, incluant Jean Messiha dans cette catégorie et le classant comme « personnalité politique » plutôt qu’éditorialiste, conformément à la législation de 1986. Julia Cagé souligne néanmoins la nécessité pour l’Arcom de redéfinir les règles afin d’inclure le temps de parole de ces éditorialistes, dans le but de garantir le pluralisme des opinions.
Lucie Speyser
M2 Cyberjustice – Promotion 2023-2024
Sources :
- Après son sujet sur le Puy du Fou, “Complément d’enquête” prise pour cible par le groupe Bolloré
- Médias et pouvoir – La Vie des idées
- Hosting Media Bias: Evidence from the Universe of French Broadcasts, 2002-2020
- L’influence des médias lors des élections
- La régulation audiovisuelle et l’élection présidentielle | Conseil constitutionnel