Dans une ère numérique où l’information est accessible par un simple clic, la question des enjeux de la concentration des médias (qu’ils soient audiovisuels, écrits, audio ou en ligne) sur la démocratie se place au centre des préoccupations.
Au cœur du monopole médiatique : définition du phénomène
Dans la course à la propriété des médias, plusieurs milliardaires se distinguent en acquérant un éventail médiatique varié. Parmi eux figurent des noms bien connus – tels que Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Xavier Niel ou François Pinault – qui ont constitué au fil des années leurs « empires » médiatiques. Ce regroupement de divers médias entre les mains d’un nombre restreint de propriétaires illustre parfaitement le phénomène de concentration des médias.
La concentration médiatique : une menace pour la démocratie ?
Malgré une diversité croissante des offres médiatiques, la notion de concentration des médias est le fruit d’un paradoxe. En effet, la multiplication des médias s’accompagne d’un processus de convergence, tel que susmentionné.
Cette diversification illusoire peut être mise en exergue par l’opération financière récente opérée par le groupe Bolloré, qui a consolidé son empreinte dans l’univers des médias par le rachat de plusieurs entités. Au gré du temps, il a pris le contrôle des chaînes CNews, CStar, C8 et Canal+. En outre, le groupe a investi en matière de radio et en matière de presse écrite en rachetant des magazines emblématiques tels que Télé-Loisirs, Femme Actuelle, Voici, Gala, Géo, ou encore le Journal du dimanche (JDD).
La nomination de Geoffroy Lejeune à la tête de la rédaction du JDD, suivie de la démission de la quasi-totalité de ses journalistes, souligne les enjeux démocratiques (tels que la liberté de la presse, le droit à une information fiable, l’indépendance des journalistes, le droit de retrait…) liés à la convergence des médias. Cette réflexion sur les droits et libertés fondamentales, mis en péril par ce phénomène et les effets néfastes qu’ils entraînent sur la population, s’est récemment traduite de manière très concrète. Selon le dernier sondage de la Croix, 54% des Français se méfient des informations relayées par les médias sur les grands sujets d’actualité, tandis que seulement 37% leur font confiance. Cette méfiance s’explique principalement par les incertitudes quant à l’impartialité et l’indépendance des journalistes, susceptibles d’être perçus comme influencés par le pouvoir politique ou les intérêts économiques.
Certains soutiennent cependant que la privatisation offre tout de même une garantie de pluralité des opinions. En effet, si l’unique canal de diffusion de l’information devait passer par l’audiovisuel public, cela créerait le risque que l’État puisse imposer un modèle de pensée unique.
La question de la concentration des médias ne se limite pas aux seuls enjeux d’encadrement de l’acquisition de médias. Cette réflexion doit aborder le fonctionnement en interne, une fois le média racheté.
Quelles solutions apporter à la concentration des médias ?
D’après les propos de M. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, il est nécessaire de trouver un équilibre entre les intérêts industriels et les intérêts des consommateurs. Cette balance apparaît dès lors essentielle afin de concilier les intérêts économiques, le pluralisme d’information ainsi que l’indépendance et la diversité des médias.
Partant de ce postulat, l’enjeu est de trouver un équilibre entre :
- La diversité des canaux d’information pour le citoyen (avec un encadrement plus strict du rachat de médias).
- La liberté des journalistes (mise en place d’un droit d’agrément systématique des journalistes sur leur directeur de rédaction en cas de changement de ligne éditoriale ?).
- La qualité de l’information produite par les médias (labellisation de l’information, intelligence artificielle, réforme des aides à la presse…).
C’est tout l’objet des États généraux de l’information, pilotés par Christophe Deloire (secrétaire général de Reporters sans frontières) qui ont été lancés à l’initiative de l’Élysée à l’été dernier.
En réponse à ces problématiques, Julia Cagé suggère, dans ses ouvrages tels que Sauver les médias et L’information est un bien public, coécrit avec Benoît Huet, des mesures plus strictes afin d’éviter une concentration excessive des médias. Elle propose aussi d’assurer que leur propriété soit entre les mains de groupes de presse indépendants plutôt qu’entre celles d’industriels ayant des liens avec l’État. Selon elle, l’enjeu est de démocratiser la propriété des médias.
Les motivations des grands groupes qui aspirent à concentrer les médias
Depuis l’adoption de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le secteur français de la communication audiovisuelle connaît une évolution majeure marquée par l’essor massif de nouveaux opérateurs sur le marché, tels que les GAFAN (Google, Apple, Facebook, Amazon, Netflix).
Forts de leur puissance financière, ces géants proposent des contenus délinéarisés et rivalisent avec les opérateurs de l’audiovisuel classiques, notamment les médias privés largement financés par la publicité. Les plateformes numériques, bénéficiant de régulations publicitaires plus souples, créent un déséquilibre sur le marché, captant une part croissante du marché au détriment des médias traditionnels.
L’engouement du public pour les plateformes SVOD, délaissant la télévision linéaire, a déclenché une réponse stratégique des grands groupes français face à l’oligopole numérique qui domine les sources de revenus. La tentative de fusion entre TF1 et M6, annoncée en 2021 et visant à rivaliser avec les plateformes dans la conquête du marché publicitaire, a cependant été rejetée par l’Autorité de la Concurrence qui a mis en lumière la menace d’un quasi-monopole dans la publicité et la distribution des chaînes.
Ainsi, ces enjeux de financement sont au centre de ceux du droit à l’information des lecteurs.
Lucie Speyser
M2 Cyberjustice – Promotion 2023-2024
Sources :
- À l’heure du numérique, la concentration des médias en question ? – Rapport – Sénat
- Concentration des médias en France et impact dans une démocratie (exposé des motifs)
- Comment sauver le pluralisme des médias ? | CNRS Le journal
- La concentration des médias contre la démocratie – La Vie des idées
- Télévision : fusion entre TF1 et M6, comprendre le projet
- Arnaud Lagardère devient le nouveau PDG de Hachette Livre
- Une proposition de loi transpartisane pour protéger l’indépendance des médias