Ces dernières années, l’intelligence artificielle (IA) ne cesse de révolutionner le monde professionnel, et le secteur juridique n’est pas resté à l’écart. Aujourd’hui les technologies d’IA sont utilisées pour rationaliser les affaires juridiques en offrant une efficacité, une précision et une rentabilité sans précédent. C’est ainsi que, Harvey, une plateforme d’IA générative conçue pour les professionels du droit, suscite des interrogations sur l’influence qu’elle pourrait avoir sur la pratique du droit et la nécessité d’un développement éthique et responsable de cette technologie.
Un partenaire d’entraînement plutôt qu’un concurrent ?
Harvey est un outil d’IA générative basé sur le modèle linguistique GPT 4 et conçu pour créer des LLM (Legal Language Models) personnalisés. L’IA, initialement financée par Open AI, utilise le traitement du langage naturel, l’apprentissage automatique et l’analyse de données pour automatiser divers aspects du travail juridique, tels que l’analyse de contrats, la due diligence, les litiges et la conformité réglementaire.
Disponible en plusieurs langues, cet outil d’IA se développe en réponse à l’inflation réglementaire et la croissance des quantités de données. Selon Baptiste Aubry, responsable des services financiers réglementaires chez le cabinet d’avocats Allen & Overy Luxembourg: « Harvey aidera les avocats à gagner du temps et à couvrir toutes les bases de données juridiques existantes». Selon lui, l’outil est un réel partenaire d’entraînement pour les avocats. Ainsi depuis novembre 2022, plus de 3 500 avocats de ce cabinet ont posé environ 40 000 questions à Harvey pour leur travail quotidien.
Par ailleurs, le cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers (PWC), a annoncé un partenariat mondial avec la start-up le 15 mars 2023. Selon PWC, Harvey devrait « améliorer les capacités de plus de 4 000 professionnels du droit pour fournir des solutions juridiques axées sur l’humain et technologiquement assistées ». Harvey n’est pas le seul outil, il y en a d’autres.
Une véritable révolution ?
Aujourd’hui, l’IA est devenue un catalyseur d’efficacité inégalé, révolutionnant les domaines de la recherche juridique et de l’analyse prédictive. En conséquence, des start-ups qui offrent des services répondant aux besoins des professionnels du droit ne cessent d’émerger.
- Optimisation de la recherche juridique
Actuellement, des outils tels que LexisNexis ou Doctrine offrent la possibilité de mener des recherches juridiques par une analyse automatisée des données jurisprudentielles et réglementaires. Ces plateformes permettent d’extraire des informations pertinentes et de fournir des résumés complets, ce qui rend la jurisprudence plus accessible et transparente pour les professionnels du droit.
- Révision et analyse des contrats
L’IA s’est également avérée être un atout précieux dans la révision et l’analyse des contrats. Selon le livre blanc de Wolters Kluwer sur «l’IA et son impact sur les services juridiques» de mars 2023, l’utilisation d’une solution de gestion du cycle de vie des contrats (CLM) intégrant un système d’IA permet de réduire le temps de traitement de 75% par contrat.
Les outils «Legisway» et «Legal ON», promettent de catégoriser les contrats en identifiant les risques, les incohérences ou les problèmes de non-conformité. Ces outils peuvent également comparer différents contrats en signalant toute déviation et garantissent une plus grande cohérence et précision.
- Analyse prédictive
Les algorithmes d’IA ont par ailleurs la capacité d’analyser d’importants volumes de décisions de justice. Ces outils de « jurimétrie » étudient les modèles et identifient les corrélations afin de fournir des informations précieuses et des prévision sur les résultats les plus probables d’un litige sur le plan statistique.
Notamment, la legaltech française Predictice propose un moteur de recherche et une analyse statistique de la jurisprudence permettant d’anticiper la probabilité de résultat d’un litige et les éventuelles indemnités y associées.
- Due diligence et conformité
Le déploiement de l’IA a également optimisé les procédures de due diligence. En effet, les logiciels sont aujourd’hui capables d’identifier et de signaler les irrégularités financières, les violations de conformité et les atteintes aux données de manière systématique.
Selon Bivek Sharma, responsable de l’IA pour les services fiscaux et juridiques mondiaux de PWC, Harvey va au-delà de la simple économie d’heures. S’il est vrai que la plus-value et le potentiel de ces outils sont importants, il convient de ne pas oublier la priorité d’une l’utilisation responsable de l’IA. Ainsi, le coût énergétique de l’outil et son impact incertain sur l’avenir des professionels de la justice, remettent en question sa réelle plus-value et appellent à une développement plus responsable.
Vers un partenaire d’entraînement éthique
Bien que l’IA complète l’expertise des professionnels du droit, le jugement humain et les considérations éthiques demeurent essentiels. C’est ainsi que le Conseil de l’Europe propose une Charte éthique européenne d’utilisation de l’IA dans les systèmes judiciaires, qui est censée mener les juristes et professionnels de la justice dans la gestion du développement de l’IA. Cette Charte identifie les principes essentiels comme le respect des droits fondamentaux, du principe de non-discrimination, du principe de qualité et de sécurité, de transparence et de la maîtrise par l’utilisateur.
L’adoption récente du «AI Act» (Artificial intelligence act), texte de régulation des intelligences artificielles par le Parlement européen en date du 14 juin 2023, accentue davantage l’approche par les risques liés au déploiement de l’IA.
Alors que l’IA continue d’évoluer, la collaboration entre les humains et les machines promet de remodeler le paysage juridique vers une nouvelle ère d’efficacité dans la pratique du droit. Il convient ainsi de promouvoir un développement responsable et éthique de l’IA.
Delija Talevic
M2 Cyberjustice – Promotion 2022/2023
Sources :
https://paperjam.lu/article/chatbot-harvey-va-revolutionne
https://delano.lu/article/harvey-has-the-potential-to-re
https://www.banquedesterritoires.fr/sites/default/files/2023-01/BAROMETRE_LEGALTECH_2023_0.pdf
L’intelligence artificielle c’est l’avenir. Maître Donatien CAMBRIEUX.