Bien que les technologies de l’information et de la communication constituent une réelle opportunité en matière de prévention de la traite des êtres humains ou de protection des victimes, leur utilisation est, parallèlement, de plus en plus détournée à des fins de recrutement et de contrôle des victimes.
L’impact des nouvelles technologies sur la traite des êtres humains
Profitant, d’un monde plus connecté que jamais, des individus exploitent les réseaux et infrastructures en ligne ainsi que les failles des systèmes pour dissimuler des activités criminelles.
Ainsi, l’utilisation frauduleuse des technologies de l’information et des communications a facilité les activités de réseaux de traite des êtres humains. Pour illustration, l’usage du « darknet » ou de monnaies virtuelles et cryptées par des réseaux criminels rend quasiment invisible les activités criminelles tout en les accélérant considérablement. La simple utilisation d’un réseau social ou d’un site d’annonce permet, également, à ces criminels de proposer au monde entier des services issus de la traite d’êtres humains.
Dans une enquête publiée en septembre 2022, ProPublica, une rédaction américaine indépendante, révélait à cet égard que l’Asie, plus particulièrement le Cambodge, le Laos et la Birmanie, abritait un important trafic d’êtres humains. Plus précisément, c’était à Sihanoukville, surnommée la « capitale de la fraude », que cette criminalité avait pris une ampleur considérable.
Des dizaines de milliers de personnes originaires de plusieurs régions d’Asie furent attirées par de fausses offres d’emplois les incitant à travailler au Cambodge, au Laos et au Myanmar, où des syndicats criminels chinois avaient mis en place des opérations de cyberfraude.
Une fois sur place, les victimes étaient retenues captives et contraintes à se prostituer, à travailler pour des opérations commerciales de pêche à la crevette ou encore à « piéger des internautes du monde entier sur les réseaux sociaux afin de leur soutirer d’importantes sommes d’argent ».
Cette opération de cyber fraude très organisée se serait élevée à plusieurs millions de dollars. Par ailleurs, les autorités cambodgiennes avaient découvert, lors de différents raids, les preuves d’un important trafic d’êtres humains, de détention illégale et de torture liées à cette cybercriminalité.
Ngô Minh Hiêu, un hacker repenti travaillant désormais pour le gouvernement vietnamien, fut l’un des premiers à identifier ces endroits que Vitit Muntarbhorn, envoyé des Nations Unies pour les droits de l’homme au Cambodge, qualifia de véritable « enfer vivant ».
Les conséquences désastreuses de cette nouvelle criminalité
Néanmoins, si certains parviennent à s’évader et échapper à la torture, l’heure n’est pas au réjouissement. Dépourvues de statut légalement reconnu, les victimes secourues sont, bien souvent, traitées par la police cambodgienne comme des migrants ou des illégaux et se retrouvent, par conséquent, dans des centres de détention pour migrants surpeuplés aux conditions déplorables.
Si les réseaux de trafic d’êtres humains ne sont pas inédits, « cette idée de combiner deux crimes, l’escroquerie et la traite des êtres humains, est un phénomène très nouveau » affirma Matt Friedman, directeur général d’une organisation à but non lucratif située à Hong Kong.
Toutefois, si ce phénomène n’est pas sans lien avec le crime organisé, il ne l’est pas non plus avec certaines élites politiques et commerciales du pays.
Ce n’est que tout récemment, suite à la rétrogradation du Cambodge par le département d’État américain, au niveau le plus bas dans le classement des pays luttant contre la traité des êtres humains, que le gouvernement cambodgien a remédié à son inaction et a reconnu le sort des victimes.
Une réaction gouvernementale qui est devenue quelque peu forcée suite à la diffusion d’une vidéo montrant « une quarantaine d’hommes et de femmes vietnamiens sortant d’un complexe de fraude signalé et, poursuivis par des hommes armés de matraques, sautant frénétiquement dans une rivière qui sépare le Cambodge du Vietnam » .
Parmi les innombrables problèmes auxquels ce phénomène se heurte, Jeremy Douglas, représentant régional de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, alerte sur la nécessité d’une réaction au cas par cas par les autorités, sans laquelle les groupes criminels ne feront que changer de lieux pour poursuivre leurs activités illégales.
Lucia Berdeil
M2 Cyberjustice – Promotion 2022/2023
Sources :
- https://www.propublica.org/article/human-traffickers-force-victims-into-cyberscamming
- https://siecledigital.fr/2022/09/15/cambodge-quand-le-trafic-detres-humains-rencontre-la-cybercriminalite/
- https://onu-vienne.delegfrance.org/De-l-utilisation-frauduleuse-d-Internet-pour-favoriser-l-exploitation-des
- https://cipesa.org/?wpfb_dl=459