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Le 24 avril dernier, le Conseil de l’Union européenne (Conseil de l’UE) approuvait une loi visant à établir une nouvelle plateforme numérique. Celle-ci aura pour rôle de faciliter l’échange d’informations entre les procureurs et les juges européens pour traduire les criminels transfrontaliers dans le cadre des équipes communes d’enquête (ECE).

 

Un outil de lutte contre la criminalité transfrontalière

Cette nouvelle plateforme vise à renforcer la coopération entre les autorités judiciaires des États membres (EM) dans le cadre de la lutte contre la criminalité transfrontalière. Elle doit permettre la coordination et la gestion quotidienne des ECE, l’échange et le stockage temporaire d’informations et d’éléments de preuve opérationnels, ainsi que la sécurité de la communication et la traçabilité des éléments de preuve. Elle sera connectée aux outils informatiques utilisés par les autorités participantes, mais son utilisation restera facultative. Cette initiative s’inscrit dans une démarche pour une approche plus coordonnée et efficace de la justice dans l’espace numérique européen.

 

Une démarche de sécurisation pour les échanges d’informations 

Les ECE sont des groupes d’enquêteurs de différents pays travaillant ensemble sur des infractions transfrontalières. Jusqu’à présent, elles étaient confrontées à des difficultés techniques liées notamment aux questions de sécurité lors des échanges et des communications d’informations. Ainsi, leur action n’était pas toujours optimale. 

En effet, l’échange d’informations étant au cœur de cette logique de poursuite des infractions transfrontalières, il était difficile d’aller au-delà des procédures traditionnelles de coopération judiciaire. Or, les ECE sont souvent utilisées pour enquêter sur des crimes liés aux nouvelles technologies comme la fraude en ligne, le piratage informatique et la cyberintimidation : des situations assez risquées du point de vue de la sécurité de l’information. 

En outre, les ECE sont particulièrement pertinentes pour enquêter sur des crimes ayant des répercussions internationales, tels que le trafic de drogue ou la traite d’êtres humains. Ainsi, ces équipes constituent un exemple important de la manière dont les autorités judiciaires peuvent collaborer pour lutter contre la criminalité transfrontalière dans un monde de plus en plus connecté. Mais pour que le système fonctionne, il est important que les informations communiquées entre les différents états le soient de manière sécurisée et fluide.

 

La concrétisation d’un projet existant 

Cette législation s’inscrit dans une dynamique affirmée par l’ Union européenne (UE) depuis 2002 avec la création d’Eurojust, agence compétente pour le même type de criminalité qu’Europol (crimes informatiques, fraude, corruption, etc.) et ayant trois missions principales :

  •   la promotion et l’amélioration de coordination d’enquêtes et de poursuites entre les autorités compétentes des EM
  •   l’amélioration de la coopération entre ces autorités
  •   le renforcement de l’efficacité de leurs enquêtes et de leurs poursuites (notamment avec les ECE)

Eurojust et les ECE ont permis d’arrêter de nombreux réseaux criminels sophistiqués comme dans l’affaire Avalanche où un énorme réseau de botnet diffusait des logiciels malveillants en Europe et dans le monde. Cette affaire avait conduit à l’arrestation de plus de 800 personnes et à la saisie de plus de 39 serveurs criminels.

La nouvelle plateforme sera connectée au réseau d’outils informatiques utilisés par les autorités participant aux ECE. L’eu-LISA (agence de l’UE pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice) sera chargée de concevoir, de développer et de faire fonctionner cette plateforme. Cette agence est responsable de la gestion de plusieurs systèmes d’information critiques pour la sécurité intérieure de l’UE, tels que le système d’information Schengen et le système d’information sur les visas.

Le nouveau règlement entrera en vigueur vingt jours après sa publication au Journal officiel de l’UE et sera directement applicable dans tous les pays de l’UE. Cette plateforme numérique représente une avancée significative dans le domaine du droit du numérique pour faciliter la coopération judiciaire transfrontalière en Europe.

 

Une application à la française avec SIROCCO

En France, cette nouvelle législation européenne a été suivi d’un décret n° 2023-309 du 25 avril 2023 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Système Informatisé de Recoupement, d’Orientation et de Coordination des procédures de Criminalité Organisée » (SIROCCO). Ce décret d’application poursuit le même but : suivre les procédures de criminalité organisée menées par les juridictions inter-régionales spécialisées, la juridiction nationale en charge de la lutte contre la criminalité organisée et leurs parquets et parquets généraux respectifs.

Il est important de noter que l’utilisation de SIROCCO soulève des questions relatives à la protection des données personnelles et à la confidentialité des informations, notamment en ce qui concerne les personnes qui ne seraient pas impliquées dans des activités criminelles. 

A ce titre, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a été saisie par le ministre de la justice d’une demande d’avis concernant le projet de décret portant création de SIROCCO. La Commission prône un chiffrement des données, et ce même au repos (non pas simplement pendant le transit). En outre, la CNIL souligne la nécessité de pseudonymiser les données. La CNIL conclut en affirmant que les données traitées sont bien adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités poursuivies.

Enfin, la durée de conservation des données prévue est de dix ans à compter de la dernière actualisation de l’état de la procédure judiciaire. Il est également à noter que le droit d’opposition ne s’appliquera pas au présent traitement. 

 

Chloé PADAR

M2 Cyberjustice – Promotion 2022/2023

 

Sources :

–   Décret n° 2023-309 du 25 avril 2023 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Système Informatisé de Recoupement, d’Orientation et de Coordination des procédures de Criminalité Organisée » (SIROCCO)

–   Délibération n° 2022-105 du 20 octobre 2022 portant avis sur un projet de décret portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Système Informatisé de Recoupement, d’Orientation et de Coordination des procédures de Criminalité Organisée » (SIROCCO)

–   Communiqué de presse du Conseil de l’UE du 24 avril 2023 – Council adopts law to improve and digitalise cross-border judicial cooperation

–  Extrait annexe 4 – équipe commune d’enquête – des lignes directrices et accord type sur les équipes communes d’enquête du formulaire type de demande d’entraide judiciaire en matière pénale – Comité européen pour les problèmes criminels – Comité d’experts sur le fonctionnement des conventions européennes sur la coopération dans le domaine pénal – Lignes directrices et accord type sur les équipes communes d’enquête

–  Décision 2002/187/JAI du Conseil du 28 février 2002 instituant Eurojust afin de renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité.

–   Proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quater du Règlement, sur la lutte contre la cybercriminalité : Cybercriminalité : un défi à relever aux niveaux national et européen – Rapport d’information n° 613 (2019-2020), déposé le 9 juillet 2020.

–   Stratégie de cybersécurité de l’Union européenne : un cyberespace ouvert, sûr et sécurisé. Communication conjointe au parlement européen, au conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions du 7.02.2013

Article 695-2 du Code de procédure pénal (Titre X : De l’entraide judiciaire internationale – Chapitre II : Dispositions propres à l’entraide entre la France et les autres Etats membres de l’Union européenne – Section 2 : Des équipes communes d’enquête)

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