Toujours à l’affût de méthodes innovantes pour financer leurs activités, les terroristes, qu’ils soient islamistes ou néonazis, se tournent vers les nouvelles technologies pour contourner les surveillances financières.
Nouveaux moyens de financement des causes terroristes et néonazies
Plusieurs moyens existent pour rendre les transactions et la circulation des flux financiers plus opaques, comme par exemple les cartes prépayées. Dans ce cas de figure, le malfaiteur paye en argent liquide une carte bancaire, et peut procéder de différentes manières : la remettre à un individu tiers, retirer de l’argent à un distributeur, etc. Il garde donc l’anonymat et l’argent n’est pas traçable. Un autre moyen de financement possible est la collecte de fonds en ligne grâce aux plateformes de crowdfunding (financement participatif) ou de cagnottes en ligne. Le crowdfunding nécessite un suivi assez conséquent de la part de l’initiateur. Il doit avoir un projet précis avec un objectif financier fixe dès sa création, une durée limitée dans le temps, et est soumis à différents contrôles juridiques. La cagnotte en ligne quant à elle, requiert simplement un objet à financer et une date limite : elle dépend uniquement de la générosité des donateurs, et n’est pas soumise à un contrôle spécifique. Ces deux méthodes présentent plusieurs avantages. D’une part, elles permettent de masquer l’intervention des différents « investisseurs », les rendant difficilement identifiables. D’autre part, les échanges entre donateur et gestionnaire de la plateforme sont dématérialisés : le gestionnaire peut masquer son véritable projet en le faisant passer pour une cause licite ou noble, que le donateur ne sera pas en mesure de vérifier.
Des partis extrémistes allemands (notamment néonazis) utilisent d’autres moyens légaux pour financer leur cause, en organisant par exemple des festivals de musique, d’arts martiaux ou des ventes diverses. Ces événements sont considérés par la loi allemande comme des dons, et ne sont pas contrôlés : cela permet de largement financer les causes et projets extrémistes. Il est difficile de lutter contre ces modes de financement, car aucune de ces activités n’est officiellement illégales.
Une lutte progressive contre ces formes de financement
A l’échelle nationale, plusieurs acteurs sonnent l’alarme et luttent contre ces nouvelles formes de financement, tel le service de renseignement Tracfin créé en 1990 et « placé sous l’autorité du Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Il concourt au développement d’une économie saine en luttant contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ». D’après ce service, la France est l’un des premiers pays à avoir adopté un instrument permettant d’encadrer l’usage des plateformes de crowdfunding. L’ordonnance du 30 mai 2014 crée le statut d’intermédiaire en financement participatif (IFP), aujourd’hui défini par l’article L. 548-1 du code monétaire et financier : « l’IFP consiste à mettre en relation, au moyen d’un site internet, les porteurs d’un projet déterminé et les personnes finançant ce projet ». Elles doivent être immatriculées, des plafonds fixes sont définis, et il faut suivre une formation spécifique afin de pratiquer l’activité d’intermédiaire.
Alors que les IFP sont encadrées, les cagnottes en ligne ne le sont pas, inquiétant Tracfin et la sénatrice française Nathalie Goulet. Cette dernière interroge le Ministère de l’Economie en décembre 2020 concernant ce vide juridique. La réponse est simple : de nombreux sites de cagnottes en ligne ont déjà acquis le statut d’IFP (comme Leetchi ou Lydia), et les fonds qui circulent sur de tels sites sont soumis au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Toutefois, à la fin de sa réponse, le Ministère évoque la pertinence de la mise en place d’un instrument européen pour lutter efficacement contre l’usage frauduleux des cagnottes, afin de mieux les surveiller.
A l’échelle européenne, le règlement européen du 7 octobre 2020 relatif aux prestataires européens de services de financement participatif pour les entrepreneurs crée un statut unique pour les services de crowdfunding. Ils devront être agréés par une autorité compétente, pourront proposer des services spécifiques et réglementés, avec des obligations précises. Ce règlement est entré en vigueur le 10 novembre 2021, et les plateformes voulant continuer leurs activités d’IFP avaient jusqu’au 10 novembre 2022 pour s’y conformer (période de transition prolongeable jusqu’au 10 novembre 2023 sous conditions). Une fois le délai expiré, seules les plateformes agréées pourront exercer leurs activités de financement participatif. Toutefois, les plateformes de cagnottes en ligne ne sont toujours pas réglementées et encadrées au niveau européen, ouvrant la porte aux usages frauduleux. Il est à noter que les plateformes de pays hors Union européenne ne sont pas concernées par les textes nationaux et européens, là encore, permettant des usages détournés.
Hannah Siegrist
M2 Cyberjustice – Promotion 2022-2023
Sources :
- https://www.publicsenat.fr/article/societe/nathalie-goulet-les-circuits-de-financement-du-terrorisme-vont-obliger-les-lois-a
- https://www.moneyvox.fr/actu/89797/fraude-les-cagnottes-en-ligne-bientot-plus-strictement-encadrees
- https://www.arte.tv/fr/videos/107710-206-A/generation-terrorisme-low-cost/
- https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_afetr/l15b1833_rapport-information#_Toc256000026
- https://www.economie.gouv.fr/tracfin/missions-tracfin
- https://www.economie.gouv.fr/cedef/financement-participatif
- https://www.senat.fr/questions/base/2020/qSEQ201219481.html
- https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/actualites/publication-du-reglement-europeen-relatif-au-financement-participatif-dates-cles-et-grandes-lignes