Développé en 2014 par le gouvernement chinois, le crédit social était, à l’origine, une notation pour chaque citoyen sur la gestion de ses comptes bancaires (prêts, dettes, remboursements,…). Il a été déployé afin de relancer l’économie et d’amorcer une confiance réciproque entre les acteurs de la société. Sept ans plus tard, le procédé a évolué vers un rôle de surveillance massive des citoyens, et continuera de s’étendre par le biais des nouvelles technologies.
- Les incivilités prises en compte dans la notation
Dans certaines villes chinoises, il y a une volonté d’élargir la notation des citoyens sur leurs bons et mauvais comportements (gestion d’argent, habitudes alimentaires, réseaux sociaux, carrières professionnelles, respect du code de la route, soutien au gouvernement, incivilités…).
Les données sont récupérées par le gouvernement chinois à travers plusieurs moyens : contrôles routiers, comités qui surveillent le quartier, données bancaires, etc. La surveillance peut également s’opérer par la lecture des achats en ligne (qui achète quoi) ou encore les réseaux sociaux.
Il faut savoir que depuis 2017, les sociétés privées telles qu’Alibaba et Tencent ont l’obligation de transmettre les données personnelles des clients en leur possession en cas de “menace pour la sécurité nationale” au gouvernement chinois. Alibaba possède pas moins de 93 millions d’utilisateurs actifs dans l’e-commerce ce qui représente une quantité de données personnelles conséquente. WeChat, filiale de Tencent, a dépassé le milliard d’utilisateurs en 2018 avec sa messagerie électronique. La collecte des données personnelles via les services numériques a permis au gouvernement chinois d’accroître considérablement la surveillance et le contrôle de ses citoyens.
Les nouvelles technologies seront bientôt au service de la surveillance massive en Chine. La surveillance a vocation à être réalisée dans un futur proche par des caméras de reconnaissance faciale en temps réel. Pour donner un ordre d’idées, on compte plus de 200 millions de caméras de surveillance en Chine. Le gouvernement chinois veut aller plus loin : il a l’intention d’utiliser l’Intelligence Artificielle afin de contrôler plus d’individus, plus rapidement et de les retrouver plus facilement. Par exemple, il sera possible de voir le numéro d’identité des citoyens via des caméras de surveillance à reconnaissance faciale, posées sur des feux tricolores.
- Les sanctions des « mauvais payeurs »
De façon générale, si le citoyen est un « mauvais payeur » ou qu’il « agit mal », sa note de crédit social baisse. Par exemple, s’il critique le gouvernement, s’il participe à une manifestation, ou encore s’il contracte des dettes … En revanche, si l’individu soutient le gouvernement, ou fait un don du sang, s’il n’a pas de dettes…, sa note augmente.
Le citoyen « modèle » en règle général, n’a pas d’avantages suite à son bon comportement; mais certaines villes ont mis en place des réductions de 50% du prix des titres de transports ou des réductions de certains services publics tels que les musées, bibliothèques.
Pour le mauvais citoyen ou payeur, la sanction est lourde : son visage, nom, prénom et adresse sont affichés sur des grands écrans visibles dans les espaces publics, ce qui peut avoir pour conséquence des difficultés d’accès à l’emploi et au logement.
Certains mauvais citoyens se retrouvent sur la « Liste Noire » établie par la Cour Suprême, consultable directement sur son site : cela peut concerner des personnes morales aussi bien que physiques. Les critères suivant lesquels un citoyen voit son nom inscrit sur la liste noire ne sont pas précisément définis, ils restent très flous. En général, cela concerne les personnes qui n’ont pas payé leur dette. Ils doivent alors être jugés. Les citoyens qui ne se rendent pas au jugement ou ceux qui ont une dette impayée se retrouvent sur cette liste et certains droits leur sont restreints.
La Cour Suprême liste les restrictions : ils ne peuvent pas voyager en train, bateau ou avion si cela n’est pas « nécessaire à la vie ou au travail » ; ne peuvent contracter de prêt ou procéder à l’achat d’un bien immobilier, ne peuvent acheter de voitures non nécessaires à des fins professionnelles, ne peuvent partir en vacances, etc. Il y avait déjà 23 millions de citoyens figurant sur cette liste en 2019.
Cependant, la réglementation abondante et complexe n’est pas audible et comprise par tous. Beaucoup de citoyens se retrouvent sur liste noire sans le savoir et ne s’en rendent compte qu’en tentant d’acheter un billet de train par exemple.
Enfin, la notation du crédit social n’est pas très accessible: elle est disponible sur l’application bancaire du citoyen, mais il doit faire une demande de rapport de crédit social, ce qui lui coûtera environ 200 euros.
- Conséquences psychologiques de cette surveillance
On peut la comparer avec la Prison Panoptique imaginée par le philosophe Jeremy Bentham : il s’agit d’une prison dont les cellules sont toutes collées les unes aux autres en forme de cercle, et les gardiens de prison trônent dans une tour de contrôle au milieu. Les gardiens peuvent donc surveiller les prisonniers, mais les prisonniers ne peuvent pas voir si les gardiens sont présents dans la tour ou s’ils sont absents. Leur comportement s’adapte : les gardiens sont peut-être en train de surveiller, les prisonniers sont alors dissuadés de tenter de s’échapper.
C’est un peu le cas avec la surveillance numérique en Chine : les Chinois ne savent pas si leurs conversations via messagerie électronique sont collectées, mais savent que cela peut arriver. Pareil pour les incivilités dans la rue, les citoyens ne savent pas s’ils sont filmés, mais savent que c’est possible. Leur comportement s’adapte et se modifie malgré eux, sans qu’ils ne s’en rendent compte. Pour autant, la nouvelle génération de Chinois issue des villes développées se montre plus hostile à la surveillance de masse.
Le crédit social est en train d’être testé dans plus de 260 villes chinoises et a vocation à devenir obligatoire sur tout le territoire chinois. Les moyens de notation ne sont pas les mêmes, pour l’instant, le crédit social n’est pas homogène dans les villes testées. Par exemple, pendant l’épidémie du coronavirus, certaines villes comme Nankin ont intégré des critères dans le crédit social tels que le respect de la distanciation sociale, la spéculation sur la vente de masques ou encore les équipements contrefaits. Les citoyens qui cachaient leur historique médical ou qui mentaient sur leurs symptômes pouvaient être placés sur liste noire.
En France, les caméras de surveillance sont de plus en plus déployées et les données collectées sur les citoyens sont encadrées mais de plus en plus utilisées. Qui sait, peut-être que dans un futur proche, la France suivra le modèle chinois.
Margot Demi – Promotion CyberJustice 2020/2021
Sources :
Article « Chine : quatre idées reçues sur le crédit social chinois » par Simon Leplatre;
Reportage France 2, « Avec le “crédit social”, la Chine classe les “bons” et les “mauvais” citoyens » par Arnauld Miguet et Gaël Caron;
Article « En Chine, le « crédit social » contre le Covid-19 fait polémique » par Dorian Malovic ;