A l’ère du numérique, naviguer sur un site web devrait être une expérience fluide et intuitive guidée par les choix de l’utilisateur. Cependant, certaines actions en ligne peuvent s’avérer biaisées, voire irréversibles, ce qui implique pour les utilisateurs de se munir de toujours plus d’attention et de méfiance afin d’éviter les nombreux pièges laissés. En effet, avec la démocratisation d’internet, la tromperie a pris de nouvelles formes. Une question se pose alors : comment lutter contre les interfaces truquées, quasi indétectables, ce fléau se propageant sur internet ?
L’émergence du phénomène de « dark patterns »
Les « dark patterns », traduits en français par “interface truquée” sont des techniques de conception d’interfaces web faites pour tromper ou manipuler subtilement un utilisateur et l’inciter à effectuer des actions ou des achats qu’il n’avait pas initialement prévues. Le but est de rendre les informations et leur compréhension difficiles d’accès par les utilisateurs. Cela peut impliquer des abonnements involontaires, le partage d’informations personnelles ou encore des achats impulsifs. Il existe des pratiques de vente douteuses depuis l’émergence du commerce, mais avec la numérisation du commerce, les possibilités des marques d’augmenter leurs profits se décuplent. Pour cela, elles développent des tromperies toujours plus variées.
Quelques exemples courants de dark patterns
Parmi ces pratiques de manipulation, une forme est utilisée de façon récurrente : la « question piégée ». Son fonctionnement est le suivant : un site semble poser une question, mais grâce à sa formulation ambiguë, il en pose en réalité une autre. Cela peut s’illustrer avec l’utilisation d’une double négation ou encore d’un libellé trompeur dans une case à cocher. Les marques et sites internet jouent également avec les attentes initiales de l’utilisateur : le trucage des prix, les options pré-cochées ou encore le piège des apparences avec la mise en avant de certaines icônes sont autant de manières de tromper l’utilisateur du site.
Un autre procédé manipulatoire répandu : le piège de l’urgence. Dans ce procédé, les marques créent des comptes à rebours avant la fin d’une promotion ou des décomptes du nombre d’articles restant en stock. Tout est mis en œuvre pour donner l’illusion au client que c’est une occasion d’achat en or, qu’il ne faut pas manquer.
L’utilisation des biais cognitifs humains
La pratique des interfaces truquées mise en œuvre par les entreprises permet d’exploiter certains biais psychologiques des consommateurs à leur encontre afin d’en tirer un profit. Des sociologues ont, à ce propos, fait émerger un nouveau concept : l’économie de l’attention. Elle repose sur « un alliage entre l’exploitation des données personnelles et des dispositifs de recommandations personnalisées grâce aux algorithmes ». Le principal vice de ces techniques réside dans la difficulté à les détecter et donc à les contourner. Elles utilisent des biais comme l’effet d’ancrage, l’aversion à la perte, la surcharge émotionnelle ou encore le biais de l’optimisme.
A contrario, tous ces biais peuvent être utilisés de façon bienveillante par les entreprises du numérique via les techniques de « nudging ». Celles-ci sont conçues pour améliorer l’expérience client sur une interface et leur faciliter l’accès à certaines fonctionnalités recherchées. Le problème se pose alors lorsque ces entreprises utilisent tous ces procédés avec l’intention de manipuler le consommateur. C’est pour cela que les dark patterns sont en principe interdits, dans les différents niveaux de législation.
Réglementations et initiatives légales en la matière
Au niveau national, les dark patterns sont sanctionnés au titre des pratiques commerciales trompeuses ou agressives, dans le code de la consommation. Pour les personnes physiques, elles sont passibles d’une amende pouvant atteindre 300 000 euros et deux ans d’emprisonnement. Pour les personnes morales, l’amende maximale encourue est de 1,5 millions d’euros. Au niveau de l’Union européenne, les textes réglementant ces pratiques se multiplient. Tout d’abord, une directive luttant contre les pratiques commerciales déloyales a été adoptée en 2005, pour protéger les consommateurs. Celle-ci a été modifiée par une directive de 2019, modernisant les règles européennes relatives au droit des consommateurs. En parallèle, le RGPD recense des principes de protection des données qui sont potentiellement violés par l’usage de dark patterns, que ce soit du fait d’un contenu ou d’une interface de plateforme. En 2022, le Centre Européen de la Protection des Données (CEPD) a publié des lignes directrices sur le sujet afin d’identifier et d’éviter les pratiques de dark patterns dans les interfaces des plateformes de médias sociaux. Au niveau national, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a publié en 2023 un ensemble de vidéos et conseils pour appréhender au mieux ces procédés manipulatoires.
En addition, le règlement sur les services numériques (Digital Service Act en anglais) réglemente également ces pratiques. Depuis février 2024, il impose de nouvelles obligations à toutes les plateformes en ligne pour mieux protéger les utilisateurs contre les contenus illégaux. Le règlement interdit par exemple les interfaces trompeuses, et impose une transparence accrue sur les algorithmes utilisés pour cibler les internautes. Il oblige à contrôler l’identité des vendeurs sur les plateformes et à bloquer les fraudeurs récidivistes. Le non-respect de ces obligations de transparence peut entraîner des amendes allant jusqu’à 6% du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise ou de la plateforme.
Ces phénomènes, désormais dans le viseur des différents régulateurs, font l’objet d’un renforcement de l’arsenal législatif. De plus, les autorités développent une vigilance accrue en la matière, témoignant d’une volonté d’encadrement des droits des consommateurs.
Clara Castillon
Master 2 Cyberjustice 2024/2025
Sources :
- Dark Patterns : Comment éviter les pièges du E-commerce pendant le Black Friday ?
- Design trompeur : les résultats de l’audit du Global Privacy Enforcement Network | CNIL
- L’usage des biais cognitifs afin d’influencer ou de tromper les consommateurs. Les dark patterns mis en œuvre par les places de marché, dénoncés par l’UFC-Que Choisir – IP/IT et Communication | Dalloz Actualité
- Illustration générée par de l’IA, Freepik