Dans un monde où la science-fiction semble de plus en plus se confondre avec la réalité, l’avènement de technologies révolutionnaires dans le domaine de la justice pénale semble arrivé. En effet, des technologies comme Cognify soulèvent des questions fondamentales sur l’éthique, la réhabilitation et les droits de l’Homme.
Cognify, une technologie imaginée par le biologiste moléculaire yéménite Hashem Al-Ghaili, propose d’utiliser l’intelligence artificielle pour implanter des souvenirs de réalité virtuelle dans le cerveau des détenus. Ce processus vise à remplacer les peines de prison traditionnelles par une réhabilitation accélérée, suscitant à la fois admiration et inquiétude.
L’objectif de Cognify est de pallier les lacunes des systèmes pénitentiaires traditionnels, qui échouent souvent à réhabiliter efficacement les comportements, comme en témoignent les taux élevés de récidive. En 2019, 40% des condamnés sont en état de récidive ou de réitération. En instillant des souvenirs spécifiques conçus pour provoquer la compréhension et le remords, Cognify pourrait modifier de manière significative la mentalité des prisonniers, conduisant à une réhabilitation plus importante et potentiellement à une réduction des récidives.
- Le fonctionnement de Cognify
Selon Al-Ghaili, la science derrière Cognify est déjà existante, mais c’est le cadre éthique qui freine sa concrétisation. Les souvenirs artificiels, ajustés en fonction du crime, seraient créés à l’aide d’un contenu généré par IA, convertissant les informations visuelles en codes directement livrés au cerveau. Des expériences réussies sur des animaux renforcent la conviction d’Al-Ghaili quant à la faisabilité de Cognify pour les humains, ouvrant la voie à une réhabilitation comportementale innovante.
Cognify repose sur une série d’étapes commençant par la cartographie neuronale pour comprendre les voies et fonctions cognitives spécifiques à chaque individu. Un dispositif est ensuite installé pour cibler des zones cérébrales liées à la culpabilité, au regret et au remords. L’activation de cet implant pendant les programmes de réhabilitation permet d’enregistrer et d’analyser les données comportementales, offrant une perspective unique sur les motivations criminelles.
Dès lors, les rapprochements avec l’épisode « White Bear » de la série télévisée Black Mirror, où une criminelle est soumise à un cycle quotidien de tourment psychologique et d’effacement de mémoire, est plus qu’explicite… Cette comparaison souligne les préoccupations éthiques et les dangers potentiels de l’utilisation de la technologie pour la punition. Ainsi, la nécessité d’une réglementation stricte apparaît primordiale pour s’assurer que l’objectif principal de la réhabilitation soit toujours maintenu.
- Les implications éthiques
La modification des émotions et des souvenirs touche à l’intimité et à la liberté individuelle, soulevant d’importantes questions éthiques. Le respect des droits fondamentaux, tels que la dignité humaine et l’autonomie personnelle, est au cœur des préoccupations. La possibilité de manipuler les souvenirs d’un individu ouvre un débat sur le consentement éclairé et la volonté réelle des détenus à participer à de tels programmes.
La modification de la mémoire d’un individu, en insérant des expériences non vécues, interroge sur l’authenticité du soi et la véritable réhabilitation. Cognify, en proposant d’implanter des souvenirs artificiels chez les détenus, soulève des questions éthiques qui mettent en lumière le dilemme fondamental entre les avantages potentiels de réduction de la récidive et le respect des droits individuels à l’autonomie et à l’identité. Ce débat souligne l’importance d’équilibrer les progrès technologiques avec les principes éthiques fondamentaux qui préservent notre humanité.
L’objectif déclaré de Cognify est de réhabiliter plutôt que de punir, en s’appuyant sur l’empathie et le remords pour réinsérer les détenus dans la société. Cette approche, si elle est efficace, pourrait réduire significativement les taux de récidive, qui demeurent élevés dans de nombreux systèmes pénitentiaires. En effet, en France, le taux de récidives pour les condamnés était de 15.5% en 2021. Toutefois, la question demeure de savoir si une telle réhabilitation peut être considérée comme équitable et juste, comparée aux peines de prison traditionnelles.
- Les défis juridiques
L’introduction de technologies comme Cognify dans le système judiciaire présente des défis juridiques inédits. La législation actuelle n’est pas équipée pour réguler l’usage de l’intelligence artificielle dans la réhabilitation criminelle.
De plus, l’implémentation de technologies telles que Cognify dans le domaine judiciaire soulève des défis légaux significatifs. En effet, l’IA Act vient interdire certaines pratiques d’IA, notamment celles manipulant le comportement de manière subliminale ou exploitant les vulnérabilités des individus, selon l’article 5 du Règlement.
La législation existante devrait alors être adaptée pour réguler efficacement l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le processus de réhabilitation criminelle, en veillant à la protection des données personnelles et en assurant une utilisation éthique de ces technologies.
Cognify représente une intersection fascinante entre technologie, éthique et droit pénal. Bien que le concept promette des avancées intéressantes dans la réhabilitation des détenus, il soulève également des questions profondes sur les droits de l’Homme, l’autonomie et la justice. La mise en œuvre de telles technologies nécessitera une réflexion approfondie, un débat public et une réglementation stricte pour s’assurer qu’elles servent l’intérêt de la société tout en respectant la dignité et les droits des individus.
Léonard Simoens
M2 Cyberjustice – Promotion 2023/2024
Sources :
AI Act – https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32024R1689
https://www.verdict.co.uk/prison-rehabilitation-choices/?cf-view
https://wired.me/technology/cognify-prison-of-future/
https://creapills.com/cognify-prison-intelligence-artificiel-detenus-souvenirs-20240626