Vous en avez forcément entendu parler ces dernières semaines, une nouvelle proposition de loi adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, le 24 novembre 2020, vient cadenasser la liberté de l’information. Même avec toute l’objectivité du monde, il est très difficile de dégager de cette ignominie législative une quelconque cohérence. Le contexte de sa rédaction est incompréhensible, tout comme les objectifs qu’elle prétend remplir. Entre des forces de l’ordre qui protègent fièrement la population et des forces de l’ordre qui protègent outrageusement un gouvernement discrédité, la frontière est très mince. C’est cette même frontière que semble allègrement franchir cette législation.
Une loi liberticide et séparatrice
Le journaliste s’indigne de sa muselière, le juriste se révolte face à cette démarche liberticide et autoritaire, et le citoyen se retrouve désarmé. Alors que les représentants des forces de l’ordre respectables, et ils sont majoritaires, se retrouvent malgré eux assimilés à des chiens de garde d’un gouvernement irresponsable, les flics véreux et autres représentants des forces du désordre, semblent impunissables. Cette proposition de loi de 2020 sème le trouble et vient établir un clivage sociétal. Pour une analyse objective, il faut se référer à l’article de Margot Demi “la loi qui divisait le pays en deux”.
La proposition de loi a même provoqué une réaction de l’ONU, du Défenseur des droits ou encore de la Ligue des droits de l’homme. Si ce que recherchait Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, se situait entre la discorde séparatrice et le désarmement de la presse contemporaine, c’est mission accomplie.
Une presse spoliée de ses outils d’information
Si une image vaut mille mots, 30 secondes de vidéo valent 720 images – et donc 720 000 mots – et autant de preuves potentielles. 720 000 mots ? C’est bien plus qu’il n’en faut pour dénoncer la légitimité de cette loi.
Petit rappel : la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définit les libertés et responsabilités de la presse française. Par cette loi fondamentale, les journalistes sont protégés dans l’exercice de leur mission d’information du public. Il s’agit bien d’une mission d’information, objective, dont le vecteur incontournable au XXIème siècle est la captation et la diffusion d’images, au moyen d’une caméra embarquée ou d’un smartphone. Une presse libre n’est pas restreinte dans ses moyens d’action. Une mission d’information ne peut être remplie si la diffusion de certaines images, licites et avérées, est interdite sur un fondement douteux et discutable. Par analogie, cette loi vient piétiner ouvertement la législation de 1881.
La vidéo et la photo sont aujourd’hui les preuves les plus utilisées et disponibles en matière d’information. Le métier de journaliste, qui a évolué au fil de la transition numérique, est aujourd’hui entravé de manière illégitime.
L’article 24 ou l’indécence législative
La réécriture du polémique article 24 , réclamée par l’Assemblée nationale et exigée par le président du Sénat, est insuffisante. Cet article, qui a suscité tant d’indignation par les caractères volontairement et outrageusement imprécis de sa lettre, doit être modifié en profondeur. Il sanctionne maladroitement la diffusion d’éléments d’identification des fonctionnaires de police qui auraient pour but de porter atteinte à leur intégrité physique ou psychique. Dès lors, une analogie complètement absurde émerge : filmer une bavure policière reviendrait à mettre en danger la dignité d’un représentant des forces de l’ordre ? Ne remet-il pas lui-même sa dignité en cause en outrepassant largement ses compétences ? Il n’est pourtant pas coutume en droit pénal d’orienter la responsabilité vers la victime de bonne foi…
L’objectif premier de cette proposition de loi est de protéger l’intégrité physique des forces de l’ordre. Mais à travers la rédaction lacunaire de cette législation, c’est à se demander si le gouvernement ne donne pas justement « en pâture », pour reprendre les mots de Gérald Darmanin, la police honorable, à une opinion publique désarçonnée.
La réécriture complète de l’article 24 a été confirmée par Christophe Castaner ce mercredi 16 décembre, après des semaines de manifestation. Faute avouée à moitié pardonnée ? Quoi qu’il en soit, cette réécriture sera suivie de très près.
Cet article aurait, de toute façon, posé de grands problèmes dans son application comme le révélait la page de vulgarisation “Osons causer”.
Des articles juridiquement lacunaires : un gouvernement irresponsable
L’article 23 fait état d’une possibilité de remise de peine restreinte s’agissant des condamnations sur fondement notamment de cet article 24. Certes, bien des abus seraient évités avec cette loi, mais celui qui diffuse des images légitimement, dans une volonté de transparence de l’information, sera non seulement emprisonné mais également insusceptible de voir sa peine réduite ? Cherchez l’erreur.
L’article 25 vient achever la notion d’Etat de droit en autorisant un officier de police à porter son arme, sous certaines conditions, dans un lieu public. Simulation d’une scène ubuesque : un policier en civil, hors service, se sert de son arme, commet un homicide ; il est filmé et les images sont diffusées sur les réseaux par un journaliste. Le journaliste pourra être condamné sur fondement des articles de cette loi pour avoir porté atteinte à l’intégrité physique du policier, si celui-ci est identifiable. Il y a un parallèle à effectuer avec le happy slapping, qui consiste en droit pénal à sanctionner la diffusion de vidéos de scènes de tortures, de meurtres, de viols, ou encore d’agressions sexuelles, sauf lorsque ces diffusions ont lieu dans le cadre de l’exercice d’une profession, comme le métier de journaliste (alinéa 3 de l’article concerné). Et là se trouve toute la nuance : la diffusion par un journaliste d’une vidéo d’un homicide similaire, cette fois commis par une personne lambda, n’est pas sanctionnée. Sous prétexte donc, que l’auteur d’une infraction criminelle diffusée est un représentant des forces de l’ordre, une inégalité de traitement est opérée. La légitimité juridique de cette distinction peut être remise en question.
Le cas Michel Zecler : illustration de l’impertinence de cette loi
L’affaire Michel Zecler est la parfaite illustration de l’indécence, et elle frappe un grand coup. Les caméras de surveillance, qui permettent de visionner le passage à tabac de ce trentenaire par trois policiers, devraient-elles voir leur légitimité amoindrie du fait de leur diffusion sur les réseaux ? Cette affaire montre bien que la caméra reste la seule arme face à quelques partisans d’une police hors-la-loi.
Résoudre un problème en fermant les yeux sur un autre n’a rien de légitime ni de démocratique, car alors ce serait la « porte ouverte à toutes les fenêtres » …
Léon Charvolin – M2 Cyberjustice (2020-2021)
Pour aller plus loin :
- Pour en apprendre davantage sur cette proposition de loi, vidéo de vulgarisation par « Osons causer » : https://www.facebook.com/osonscauser/videos/733158047285147
- Pour en savoir plus sur l’affaire Michel Zecler : https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/11/27/interpellation-d-un-producteur-de-musique-une-pluie-de-coups-et-de-mensonges_6061286_3224.html
Sources :
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3452_proposition-loi