You are currently viewing Le vote électronique : entre innovation et controverses

La crise de Covid-19 a propulsé une transition numérique de la société déjà bien amorcée. Et si le traditionnel « a voté ! », prononcé solennellement par les assesseurs, devenait une annonce robotisée et uniformisée ? Entre innovation technologique et vecteur d’inégalités, le vote électronique soulève bien des problématiques. 

Les enjeux juridiques d’une numérisation de la tradition électorale

La numérisation de la société, ou « révolution numérique », entamée dès la 2nde moitié du XXème siècle, constitue l’enjeu principal du XXIème siècle. Ebranlées par un contexte de crise sanitaire internationale, il va de soi que les pratiques nationales traditionnelles ne seront pas épargnées par cette transition. En France, le report à juin 2021 des élections régionales et départementales, prévues initialement en mars 2021, en est peut-être un avant-goût. 

En France, le peuple détient le pouvoir et a un rôle déterminant dans l’élection de ses représentants. Le vote électronique, qui consiste en un système dématérialisé et à comptage automatisé, pourrait en théorie combiner transition numérique et garantie démocratique. Il correspond tant aux machines déjà testées en France dans les années 2000 qu’à un système de vote à distance, accessible à domicile. Bien que très mal perçue en France depuis 2015, cette innovation sera inéluctablement sur le devant de la scène dans les années à venir.

Des avantages éventuels, des inconvénients bien réels

Le vote électronique présente l’avantage de réduire les contacts dans un contexte pandémique. Il facilite aussi l’accès à l’information s’il est perçu comme la possibilité de voter chez soi, sur son ordinateur. En effet, si les campagnes électorales sont entièrement numérisées et simplifiées, la politisation de l’électeur est rendue plus accessible. Si l’avantage réel de cette innovation est à exprimer au conditionnel, les inconvénients sont quant à eux bien présents.

La tradition républicaine du vote englobe plusieurs concepts qui garantissent l’appartenance de la souveraineté nationale au peuple. Parmi eux, le principe d’élections honnêtes qui correspond à la garantie de la transparence du déroulement du scrutin, ou encore l’anonymisation du scrutin. 

La numérisation reste fragile en ce sens qu’elle multiplie les possibilités de déstabilisation. Si la transparence peut être aisément garantie, la sécurité et l’anonymisation du vote sont vulnérables. La fraude électorale devra alors être mieux appréhendée que jamais.

Se poseront également d’autres interrogations techniques : comment garantir l’efficacité de serveurs qui vont devoir traiter le vote de millions de français ? comment garantir la sécurité du traitement de ces données ? Les interrogations sont nombreuses, même si le déroulement du vote sur plusieurs jours constitue, peut-être, une première réponse.

Le rejet de la rupture avec la tradition par les conservateurs : les élections présidentielles américaines de 2020

En se déroulant sur plusieurs jours, ces élections ont acquis une valeur historique. Les résultats, traditionnellement révélés le jour même de l’élection (soit le 3 novembre), n’ont été officialisés que le 7 novembre 2020. Et pour cause : une abondance par millions de votes exprimés à distance, que les assesseurs ont mis des jours à dépouiller. 

Si cette nouveauté peut être vue comme un premier pas vers le vote électronique, elle n’a pas fait l’unanimité. Un suspense haletant quant à la désignation du 43ème président a suscité l’attention du monde entier. Donald Trump, annoncé vainqueur le soir du 3 novembre, a en effet vu le renouvellement de son mandat s’envoler le 7 novembre. C’est à cette date, qu’après comptabilisation des votes à distance, le candidat démocrate Joe Biden a été officiellement élu. Cette rupture avec la tradition électorale a été bien accueillie par les démocrates, mais dénoncée par le président sortant. Celui-ci a dès lors entamé une contestation interminable, sans preuve, du bon déroulement des élections. 

Les Etats-Unis ne sont donc visiblement pas prêts à passer à un vote électronique. La transition numérique continue de susciter une appréhension de la part des conservateurs, fervents défenseurs des pratiques traditionnelles. Reste à savoir si Trump conteste ces élections en tant que réactionnaire, ou que mauvais perdant…

La réalité sociologique du vote électronique 

Le vote électronique, pourtant véritable innovation numérique, risque fort d’en rester à un stade embryonnaire pour l’instant. Si les enjeux juridiques susmentionnés requièrent un encadrement irréprochable, les enjeux sociologiques accentuent la complexité de sa mise en place.

A l’ère des médias sociaux, la propagande et la manipulation de l’information constituent un vecteur de déstabilisation du bon déroulement des élections. S’ajoute à cela une fraude bien connue : le scandale Cambridge Analytica. Ce sont au total 3,5 millions d’afro-américains qui avaient été ciblés par une campagne orchestrée par Trump pour les dissuader de voter. Ils étaient listés dans une base de données, mise à disposition par Facebook, qui en tant que responsable de traitement de données, a échoué à garantir la sécurité de leurs données. 

La numérisation du vote peut finalement accentuer des inégalités déjà bien présentes. La fracture numérique entre d’un côté des villes qui ont un accès à un réseau haut débit et une 4G effectifs, et de l’autre côté des campagnes qui peinent à disposer d’un réseau stable, risque d’être aggravée. L’accès à l’information constituera un véritable vecteur d’inégalités si le numérique devient l’unique moyen d’exprimer son vote citoyen.

Le concept de « l’algocratie », ou de la « gouvernance des algorithmes », déjà fortement appréhendé par les penseurs contemporains, pourrait prendre une signification bien plus forte. Le vote électronique relève ainsi d’une transition inéluctable, mais extrêmement délicate.

Léon Charvolin 

M2 Cyberjustice – Promotion 2020-2021

Pour en savoir plus sur l’affaire Cambridge Analytica : 

https://siecledigital.fr/2018/03/23/cambridge-analytica-tout-comprendre-sur-la-plus-grande-crise-de-lhistoire-de-facebook/

Sources :

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_num%C3%A9rique

http://juspoliticum.com/article/Vote-par-internet-failles-techniques-et-recul-democratique-74.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Vote_%C3%A9lectronique_en_France#cite_note-53

http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion2510.asp

https://www.courrierinternational.com/article/presidentielle-americaine-trump-intensifie-son-offensive-de-contestation-de-lelection

https://www.ictjournal.ch/articles/2019-03-05/le-vote-electronique-peut-il-faire-augmenter-la-participation

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cambridge_Analytica

https://siecledigital.fr/2018/03/23/cambridge-analytica-tout-comprendre-sur-la-plus-grande-crise-de-lhistoire-de-facebook/

https://www.cio-online.com/actualites/lire-algocratie-un-projet-politique-et-societal-pour-les-acteurs-du-numerique-8821.html