C:\Users\Laetitia\Desktop\M2 CYBERJUSTICE\articles CYB\opend.jpg

Avec l’ouverture de l’accès aux technologies, dont Internet, c’est aussi ouverte une « autoroute de l’information » avec un accès continu et instantané à une multitude de données. Ce nouveau paradigme devient alors un enjeu considérable, un critère essentiel d’une démocratie selon certains. Ainsi l’Etat lui-même participe à ce phénomène en ouvrant l’accès à l’information publique. L’open data des données publiques, fait même l’objet d’une indexation mondiale qui classe la France en 4ème position mondiale en 2016, derrière Taïwan (1er) puis le Royaume-Uni et l’Australie (2èmes ex aequo). 

L’open data des décisions judiciaires :

Le phénomène d’open data implique aussi l’ouverture à l’accès des décisions judiciaires, emportant ainsi plusieurs conséquences juridiques. Ce mouvement se manifeste en France et ailleurs par la création de sites web dédiés à la diffusion des décisions. La diffusion au grand public des décisions de justice a d’abord posé la question de l’anonymisation des parties. Question complexe puisque empêcher l’identification des belligérants ne doit alors pas entraver la compréhension du sens de l’arrêt, alors même que certains détails permettant de reconnaitre une partie sont essentiels à la compréhension du raisonnement du juge.

De plus, les arrêts, désormais diffusés en masse, représentent désormais une base de données instructive permettant, par le biais de systèmes algorithmiques, d’évaluer la probabilité de succès ou d’échec d’une action en justice. Dans le secteur privé, un assaut est alors lancé par les Legaltechs sur la forteresse jurisprudentielle et la justice devient « prédictive ». Néanmoins, les « prédictions » ne sont pour le moment que des probabilités pour un type de cas donné et non la vision claire et univoque des mots du juge à un cas particulier.

Les enjeux du profilage des juges :

De cette base de données, les entreprises établissent des modèles analysant le comportement des juges eux-mêmes. Si aux Etats-Unis l’on semble accepter l’étude comportementale des juges, la France est bien plus réticente sur cette question. Pour limiter l’analyse et la prédiction des décisions de justice, l’article 33 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice interdit explicitement la publication de statistiques sur les décisions des juges :

« Les données d’identité des magistrats et des membres du greffe ne peuvent faire l’objet d’une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d’évaluer, d’analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées ». Le non-respect de cette disposition peut entraîner jusqu’à 5 ans d’emprisonnement.

Ceci met en lumière les différences fondamentales entre système juridique romano-germanique et système du Common law. Alors qu’aux Etats-Unis l’indépendance des juges se traduit par une élection, en France ceux-ci sont nominés et devraient rendre la justice au nom du peuple sans être personnifié. Ces données statistiques pourraient aussi avoir un impact sur le juge lui-même qui selon certains s’adapterait, parfois inconsciemment, à ces statistiques.

Les conséquences du profilage des avocats :

Concernant les avocats, l’étude jurisprudentielle des algorithmes permet d’établir un taux de réussite. Pratique dangereuse puisqu’elle peut être biaisée par les nuances de la pratique du droit. La réussite d’une affaire par un avocat n’est pas nécessairement le fruit d’une victoire au tribunal. Si l’on prend l’exemple des avocats pénalistes spécialisés en défense, c’est souvent la réduction de la peine à minima qui est visée plutôt que l’acquittement. Selon une analyse stricte des données un avocat aurait donc perdu une affaire. En outre, aux Etats-Unis les négociations pré-procès sont une part essentielle de la pratique et beaucoup d’avocats souhaitent parvenir à un accord avant même de passer devant une Cour. Dès lors les statistiques, voir les classements des avocats, basés sur la jurisprudence manqueraient de pertinence.

Ainsi, la pratique de la justice se voit impactée en profondeur par l’avènement des nouvelles technologies, fait particulièrement original dans une matière aux frontières habituellement nettes. L’open data représente en particulier un enjeu essentiel de l’avenir des systèmes juridiques et de leur principes directeurs qui sont remis en cause.


Laeticia Dimanche
Master 2 Cyberjustice – Promotion 2018-2019

A propos de