Dans un monde qui ne cesse de s’interconnecter, l’augmentation du nombre de données circulant sur le globe entraine de forts enjeux, le principal étant la matérialisation de ces données, c’est-à-dire le stockage. Le stockage des données correspond ainsi à un marché central de l’économie numérique pour lequel s’affronte les plus grandes entreprises. Mais alors que le nombre de données est exponentiel les entreprises se doivent d’assurer un stockage toujours plus à la pointe de la technologie et sans faille. Ainsi une « course à la construction » de data centre, publics ou privés, toujours plus innovant et pouvant stocker un maximum de data, est lancée depuis plusieurs années.
La grande problématique de l’activité de stockage est celle de la consommation énergétique de ces parcs de machines fonctionnant 24/24H et 7/7J. En effet, pour conserver des données de masse une énergie conséquente est consommée non seulement pour faire fonctionner le data centre mais aussi pour contrôler l’énergie thermique qu’il dégage. Tout cela entraine inévitablement un coût considérable que les acteurs du marché n’ont de cesse de vouloir réduire. En outre, cette dépense énergique ayant un impact incontestable sur l’environnement, ce développe alors le concept de « data centres green », qui représente un défi technique majeur et qui a fait redoubler d’imagination les spécialistes.
Une solution « miracle » :
Durant longtemps, l’Arctique fut le « monde de l’oubli » pour les entreprises, attirant seulement pour quelques explorateurs et chercheurs aguerris. Mais depuis quelques années, plusieurs grandes entreprises ont décidés d’implanter leur data centre au plus près du cercle polaire, dans la région boréale et ainsi réguler naturellement la température émise par les centres de données. Une solution double d’après les acteurs du secteur puisqu’elle permettrait à la fois de réaliser des économies drastiques pour les entreprises mais aussi de réduire leur l’impact environnemental.
Ainsi, les mineurs du Bitcoin se ruent sur les data centres islandais alors que le plus grand centre est construit à Ballangen, dans la région arctique du Nord de la Norvège au-delà du cercle polaire. Celui-ci totalisera 600.000 m2 de bâtiments et sera alimenté à 100% en énergies renouvelables hydroélectriques et éoliennes. En parallèle, la société Microsoft a lancé un vaste projet de recherche appliqué nommé Natick développant un data centre sous-marin qui pourrait fournir des services de Cloud rapide pour les villes côtières. Ce prototype est déployé dans les fonds marins près des îles écossaises des Orcades. De plus, depuis 2013, les données d’environ 300 millions d’utilisateurs européens de Facebook sont traitées à Lulea en Suède, la firme y voyant aussi une opportunité de redorer son blason.
Solution écologique « miracle » pour certains, cette affirmation devrait pourtant être nuancée du fait de l’impact environnemental direct de ces centres sur le réchauffement climatique dans ces zones. En effet, les mineurs du Bitcoin en Islande représentaient une consommation électrique supérieure à celle de la totalité des habitants du pays en 2018 et ce sans compter la consommation de base des structures. Plus économique qu’écologique donc, la question de l’encadrement juridique de cette « ruée vers la glace » se pose avec insistance.
Un cadre normatif limité :
Il reste que la zone arctique se trouve dans une situation géographique bien spécifique, entremêlant des conflits séculaires économiques, territoriaux et écologiques. L’exploitation du pôle est donc soumise à certaines restrictions à la croisée des ordres juridiques internationaux et nationaux.
S’agissant de l’exploitation terrestre l’Etat garde une autorité souveraine. Cependant, l’exploitation sous-marine proposée aujourd’hui par Microsoft ne se fera pas sans écueils. En effet, lorsque le data centre se trouve dans les eaux territoriales d’un Etat ou de sa zone économique exclusive (ZEE), la Convention de Montego Bay de 1982 s’applique aux Etats. L’article 234 précise notamment qu’il « incombe aux Etats de veiller à l’accomplissement de leurs obligations internationales en ce qui concerne la protection et la préservation du milieu marin » et que des voies de recours soient ouvertes en cas de dommages par des personnes physiques ou morales. L’article 234 consacre la possibilité offerte aux Etats de protéger spécifiquement et plus restrictivement les zones recouvertes par les glaces, et ce notamment pour des raisons écologiques. Cependant, les États-Unis n’ont jamais ratifié la Convention alors même que l’Etat peut exploiter cette mer par le biais de l’Alaska. De plus, la base militaire américaine « Camp Century » située au Groenland refait surface, risquant déjà d’impacter l’environnement.
Ensuite, il pourrait être envisagé d’exploiter les mers plus proches du pôle, c’est-à-dire la Haute mer, hors de toute souveraineté étatique. Sur ce point la Convention sur la Haute Mer de 1958 initié par l’ONU trouve application. Celle-ci consacre un principe de liberté de la haute mer incluant la liberté de navigation, de pêche, d’y poser des câbles et des pipelines sous-marins et de la survoler ainsi que les principes généraux du droit international. La compétence personnelle qui s’appliquera sera celle de la nationalité de l’État dont le navire bat le pavillon. Encore faut-il que cet Etat ait mis en place une législation efficace en matière de responsabilité environnementale. En outre, les conventions internationales de protections des espèces menacées, nombreuses dans la région glacée, devront tout de même être respectées par les Etats signataires, n’incluant pas toujours l’ensemble des Etats côtiers de l’océan boréal.
De plus, la résolution 2749 (XXV) de l’AGNU qualifie en 1970 la Zone international des fonds marins comme « patrimoine de l’Humanité », ce qui fût ensuite consacré par la Convention de Montego Bay. La Zone échappe ainsi à toute appropriation et ne peut être exploitée que « dans l’intérêt de l’humanité toute entière ». Il reste que l’Autorité internationale des fonds marins peut délivrer des contrats d’exploitations des grands fonds. Aujourd’hui 8 Etat dont la France en ont obtenu et en use largement. En outre, le Conseil de l’Arctique établit en 1996 surveille avec intérêt les activités se déroulant sur la région glacée et tout particulièrement l’impact écologique de telles activités. Néanmoins, les décisions qu’elle émet ne sont pas contraignantes.
Toute activité dans le cercle polaire a un impact écologique direct sur ce biotope fragile et d’une importance capitale pour l’écosystème mondiale. Dans une réflexion prospective, le crime d’écocide discuté depuis 1947 à la Commission du Droit International et plusieurs fois envisagé dans les amendements aux statuts de la Cour Pénale International, pourrait encadrer ce type de situation. Force est de constater qu’en droit positif, la responsabilité des Etats en cas de dégâts environnementaux est encore attendue.
Dès lors, bien que l’implantation de data centres dans la région boréale soit aujourd’hui une solution séduisante, demain les entreprises ne pourront faire fi des implications écologiques auxquelles elles devront faire face, dans un contexte ou l’opinion publique accorde une importance grandissante aux problématiques écologiques. Si elle est aujourd’hui une zone privilégiée, l’implantation de data centres en Arctique devra être accompagnée d’autres solutions effectivement « green ».
Laeticia Dimanche
Master 2 Cyberjustice – Promotion 2017-2019