La divulgation d’enregistrements audios de l’influenceur Dylan Thiry a fait connaître aux internautes un business en plein développement : le management de comptes érotiques. Alors que l’influenceur se présente comme le sauveur de “beaucoup de monde” par cette pratique, la question du proxénétisme déguisé s’est posée.
- Présentation d’une nouvelle économie : le management de comptes érotiques
La plateforme OnlyFans et son concurrent français MYM sont des espaces de partage de contenus, aujourd’hui principalement érotiques, voire pornographiques. Elles reposent sur un système d’abonnement payant, où chaque utilisateur paie pour accéder au contenu d’un créateur. Les abonnés peuvent également interagir directement avec cette personne et lui commander du contenu personnalisé, moyennant une rémunération supplémentaire.
Après la révélation de salaires astronomiques de certaines influenceuses, tel que Sophie Rain, sur ces plateformes, allant de quelques milliers à plusieurs millions de dollars par mois, beaucoup y ont vu un moyen de gagner de l’argent facilement. En réalité, la moyenne des revenus Only Fans serait de 180 dollars par mois. Et pour cause : ces plateformes n’ont ni fil d’actualité, ni algorithme de recommandation, les modèles doivent se rendre visibles par leurs propres moyens. Elles avaient été initialement créées pour les personnes ayant déjà une certaine notoriété.
Face à cette difficulté, les pseudo-businessmen y ont vu une opportunité : promettre un envol de visibilité et une maximisation de revenus par une aide managériale et gestionnaire. Les créateurs de contenu érotique, bien souvent des femmes, n’auraient plus qu’à prendre quelques photos pour devenir riche ; ces intermédiaires s’occuperaient de tout le reste. Ils se présentent ainsi comme des managers de comptes, des agents, souvent dénommés « OFM » pour OnlyFans Manager (même si la stratégie ne se limite pas qu’à cette plateforme).
Ces agents se charge de toute la stratégie commerciale du profil : faire connaître le modèle grâce à d’autres réseaux sociaux et via diverses techniques, établir la cadence de publication, guider la créatrice vers des tendances à exploiter… Mais aussi, la gestion des interactions avec les clients.
En effet, alors que l’abonné pense discuter avec sa créatrice de contenu préférée, derrière l’écran se trouve une toute autre personne : le manager lui-même ou une personne spécialement chargée de cette tâche, un chatteur. Afin d’accroître leur productivité, ils utilisent des scripts préécrits et potentiellement personnalisés selon les préférences du client. L’objectif ultime est de créer un lien intime avec le client, qui l’encouragerait à dépenser davantage.
Cet agencement marketing basé sur l’instrumentalisation sexuelle du corps interroge sur sa proximité avec le proxénétisme.
- Prostitution et proxénétisme en ligne ? La réponse du Droit
Le proxénétisme est interdit par l’article 225-5 du Code pénal. Il englobe notamment l’aide et l’incitation à la prostitution d’autrui, ou encore le fait d’en tirer profit. Pour qualifier pénalement le proxénétisme, il doit d’abord y avoir prostitution. La prostitution n’est pas définie par la loi, toutefois, la Cour de cassation a précisé la notion, sur sa potentielle extension en ligne, dans un arrêt du 18 mai 2022.
La chambre criminelle reprend sa définition traditionnelle de la prostitution : un contact physique onéreux avec le client pour la satisfaction des besoins sexuels de celui-ci. Par l’absence de contact physique entre le solliciteur et la personne sollicitée, les comportements en ligne en sont de fait exclus. En appliquant le principe d’interprétation stricte de la loi, la Cour remarque que le législateur, par différentes interventions législatives, n’entend pas étendre cette définition, et rappelle que ce rôle ne lui est pas permis.
En somme, il ne peut y avoir de proxénétisme relatif à un comportement uniquement virtuel, puisqu’il n’y a pas de proxénétisme sans prostitution. Bien que la pratique semble similaire, les managers de comptes érotiques ne pourraient être inquiétés sur ce terrain. Cependant, d’autres aspects gravitant autour de ce métier semblent encore problématiques.
- Un métier flirtant avec le dérangeant
Le profil type d’un manager OnlyFans, mis en avant sur les réseaux sociaux, est celui d’un businessman masculiniste et libertarien, avec un mode de vie luxueux et une recherche constante de pouvoir et de liberté individuelle. Quoi de mieux, en effet, qu’une personne misogyne, avide de pouvoir, pour gérer les comptes de femmes en difficulté financière, vendant des contenus intimes ? De nombreux témoignages font état de la pression exercée par les managers, notamment pour pousser les modèles à dépasser des limites qu’elles s’étaient fixées. Ce n’est finalement que peu étonnant puisqu’il est pratique courante chez le OFM type de s’adresser aux modèles comme à des objets, agrémenté d’un brin de vulgarité, aussi bien en privé qu’en public.
En outre, ces managers prélèvent souvent des commissions importantes. Dylan Thiry, par exemple, déclarait ne vouloir laisser à la créatrice de contenu que 20% des revenus générés. Le modèle reste pourtant la personne dont le visage et le corps sont exposés.
Heureusement ou non, dans certains cas, aucune personne réelle n’est directement affectée. En effet, une autre pratique douteuse consiste pour certains managers à utiliser l’intelligence artificielle pour créer de faux profils et lancer leur activité. Au-delà de tromper la confiance des clients, ces intelligences artificielles génèrent des médias en s’inspirant de contenus de personnes réelles, si bien que certains pourraient retrouver une version altérée de leur image sans pouvoir invoquer l’usurpation d’identité, faute d’une ressemblance strictement identifiable.
En conclusion, bien que cette pratique ne tombe pas sous les coups de la loi pénale française, des contrôles devraient être exercés pour surveiller les pratiques et éviter les abus. Aussi, des fonctionnalités spécifiques à cette délégation pourraient être mises en place au sein des plateformes afin d’éviter les risques liés au partage du compte du créateur de contenus.
Laeticia Eschlimann
M2 Cyberjustice – Promotion 2024/2025
Sources :
- OnlyFans : quand les managers promettent la lune, Hélène Coutard, Les Inrockuptibles
- Cour de cassation, chambre criminelle, 18 mai 2022, 21-82.283 – Légifrance
- Le sombre business des « agents » OnlyFans, Ines de Rousiers, Le Parisien
- « Gérer les filles comme des gamines de 12 ans » : Sur YouTube, l’obscur business des managers OnlyFans, David-Julien Rahmil, L’ADN
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