Le développement des réseaux sociaux a amplifié les risques de manquement déontologique. Le 20 septembre 2024, Me Nadia El Bouroumi, avocate de deux des accusés du procès Mazan, enflammait les réseaux après avoir posté une vidéo sur Instagram. Elle se mettait en scène en train de danser sur la chanson « Wake me up before you go-go » du groupe Wham!.
Si cette vidéo peut paraître anodine, chacun étant libre de publier sur ses réseaux sociaux, il en est autrement dans ce contexte. Traduit, le titre de la chanson signifie « réveille moi avant de partir ». Pour rappel, le procès Mazan a lieu depuis le 2 septembre 2024 au sein de la cour criminelle d’Avignon. Cette affaire pour le moins inédite voit juger 51 hommes pour des faits de viol sur la personne de Gisèle Pélicot alors qu’elle dormait, droguée. Ces hommes, recrutés sur internet, venaient chez elle, avant de partir. Dans ces conditions, cette vidéo devient très problématique et semble être un grave manquement à la déontologie.
Ce n’est pas la seule vidéo publiée par l’avocate. Elle s’était également filmée en train de conduire, racontant à la sortie de l’audience, ce qu’il s’y était passé. L’image entière de la profession renvoyée par ces vidéos peut amener à discuter de l’aspect déontologique de ses démarches. Bien sûr, il n’est pas nouveau que les avocats se servent des médias comme la radio ou la télévision pour commenter une affaire voire influencer l’opinion. Simplement, les réseaux sociaux sont bien moins encadrés que les médias traditionnels. Même s’il existe des règles, les créateurs de contenu, qu’ils soient avocats ou non, peuvent intervenir sur n’importe quel sujet.
En revanche, l’idée de parler d’un procès n’est pas mauvaise dès lors que le procès est public. Cela pourrait permettre de s’intéresser et de mieux comprendre la justice.
Au-delà de la forme évidemment problématique, ces vidéos sont un moyen pour Me El Bouroumi d’apporter du contradictoire au sein du tribunal populaire. Dans ces vidéos, elle ne remet pas en cause le fait que Gisèle Pélicot ait été sous emprise chimique. Simplement, elle dit que sur les images diffusées à l’audience, Mme Pélicot apparaît comme semi-consciente, capable de parler et que, par conséquent, les deux hommes qu’elle défend ont pu croire à son consentement. A supposer que ce soit la vérité, l’élément moral du viol, c’est-à-dire l’intention de violer manquerait et aucune condamnation pénale ne pourrait avoir lieu. Dans sa prise de position, l’avocate ne fait donc que défendre ses clients face à la pression populaire.
- Quelles réactions des internautes ?
« Radiation du barreau, au minimum », « Elle doit être virée du barreau », « Elle ne cherche que la notoriété et en oublie la décence la plus élémentaire ». Sur X (ex-Twitter), Tiktok, LinkedIn, de très nombreux internautes se sont offusqués des messages postés par Me El Bouroumi. Soutenus par des dizaines de milliers d’utilisateurs, certains sont allés jusqu’à déposer une plainte au Barreau d’Avignon. En outre, comme bien trop souvent après un tel engouement social, s’en est suivie une vague de harcèlement sur l’avocate et ses enfants.
Les réseaux sociaux ont la caractéristique de permettre une diffusion instantanée de l’information. Ainsi, une vidéo postée sur Instagram a pu être vue des millions de fois en seulement quelques heures sur X. La même prise de parole à la télévision pourrait avoir de telles répercussions et choquer tout autant de monde. En revanche, cela aurait été bien moins commenté.
- Mais quelles conséquences ?
Au titre de la liberté d’expression, aucun texte juridique n’interdit à un avocat de posséder un compte sur un réseau social quel qu’il soit. Ainsi, chacun est libre de se servir des réseaux pour influencer l’opinion publique, accroître sa popularité, ou donner son avis sur un sujet donné. Mais il existe tout de même des limites à cette liberté.
En France, on ne devient avocat qu’après avoir « [juré], comme avocat, d’exercer [ses] fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». Et en cas de manquement, il peut y avoir des sanctions disciplinaires. Que les internautes soient choqués ou non, c’est au bâtonnier du barreau d’Avignon, Me Cano et seulement à lui, de décider si ces propos sont indignes de la fonction d’avocat et le cas échéant, d’ouvrir une enquête disciplinaire.
C’est ainsi que par un communiqué posté sur LinkedIn le 23 septembre 2024, le bâtonnier s’est exprimé. Il rappelle que l’ouverture d’une éventuelle enquête ne peut avoir lieu sous quelque pression que ce soit et que cette décision serait soumise au secret professionnel. Enfin, il indique que le pouvoir de sanction disciplinaire appartient seulement au Conseil Régional de discipline de Nîmes.
À l’heure actuelle, aucun communiqué ne fait état d’une sanction. De son côté, Me El Bouroumi a publié un message d’excuse, regrettant d’une part que le message ait été mal interprété, et d’autre part que le harcèlement subi affecte la procédure judiciaire.
Louis PERRIN–CONRARD
M2 Cyberjustice – Promotion 2024/2025
Sources :
- La vidéo où l’avocate se filme en dansant
- La réaction sur RadioFrance
- Article de La dépêche sur le sujet
- Le Règlement intérieur de la profession d’avocat
- La réaction du Bâtonnier d’Avignon
- La vidéo où elle raconte ce qu’il s’est passé au procès