Verax. En latin, celui qui dit la vérité.
Il est dit que « l’histoire effacera sans pitié les traces des événements si nous ne lui fournissons pas un support stable ». Alors que les médias célèbrent la récente libération de Julian Assange, un autre nom d’importance semble tombé dans l’oubli : Edward Snowden.
Cet article rend hommage à cet homme, à qui nous devons aujourd’hui une certaine reconnaissance pour ses révélations qui ont profondément influencé les régulations actuelles sur la protection des données à caractère personnel et la cybersécurité.
Le 11 septembre 2019, le journaliste Pratap Chatterjee et le dessinateur Khali Bendib ont publié leur roman graphique Verax, une « véritable histoire de Snowden et de la guerre des drones ». Inspiré par les événements du 11 septembre 2001, ce roman critique la surveillance de masse menée par la CIA, la NSA et le FBI.
Il dénonce également l’usage excessif des drones, responsables de la mort de centaines de civils. Aujourd’hui, avec le développement fulgurant des systèmes d’Intelligence Artificielle, le débat se concentre sur l’utilisation des armes létales autonomes (les tristement et ironiquement célèbres LAWs, acronyme qui signifie également « loi »).
Le service de recherche du Congrès américain les définit comme une « catégorie spéciale de systèmes d’armes qui utilisent des ensembles de capteurs et des algorithmes informatiques pour identifier de manière indépendante une cible […] et la détruire sans contrôle humain manuel du système ».
Un aspect clé de ce roman est l’évocation de la chanson de Guy Béart, « La Vérité », qui fait référence aux événements de Mai 68’, un mouvement révolutionnaire politique, social et culturel. Sous la houlette de Daniel Cohn-Bendit, les étudiants de l’Université de Nanterre s’opposent à l’impérialisme nord-américain et aux barbarismes de la guerre Vietnamienne. La chanson met en lumière le contraste entre l’Union Soviétique et les États-Unis, durant la Guerre froide, en matière de liberté d’expression.
Ironie du sort, le citoyen américain Snowden, qui a dénoncé l’un des épisodes d’espionnage de masse les plus notoires, se retrouve sous la protection de Vladimir Poutine. Lui-même connu pour sa répression sévère des voix dissidentes, finit par lui accorder la citoyenneté russe en 2022, accentuant ainsi l’exaspération du gouvernement américain.
Qui a été alors cet extraordinaire lanceur d’alerte de l’histoire et quelles ont été ses plus profondes motivations ?
« La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force » – George Orwell, 1984.
En 2013, le nom d’Edward Snowden, un fervent défenseur d’un Internet libre, notamment à travers des outils comme le moteur de recherche Tor, apparaît sur la scène internationale. Hacktiviste et adepte du courant libertarien promu par Ron Paul, homme politique républicain, ainsi que par la philosophe Ayn Rand, Snowden partage des idéaux clés, tels que l’importance pour le gouvernement de respecter les mêmes règles imposées aux citoyens, l’interdiction de la manipulation sociale et le refus de l’interventionnisme étatique, principes détaillés par Ron Paul dans son livre Liberty Defined (2011).
Ancien employé de la CIA et de la NSA, et administrateur de systèmes chez Booz Allen Hamilton, Snowden a eu accès à des informations top secret concernant la surveillance de masse, les métadonnées et les systèmes d’écoute du trafic Internet mis en place par les gouvernements américain et britannique. Témoin de ces opérations, il a décidé de divulguer ces informations au grand public, révélant comment la NSA, en collaboration avec des acteurs privés du groupe « Big Five », espionnaient les utilisateurs. Certains analystes estiment que les méthodes employées et la quantité d’informations récoltées auraient été un véritable rêve pour la Staatssicherheit ou le KGB, et un choc même pour George Orwell, l’auteur du roman 1984.
Le 22 juin 2013, Snowden est inculpé par le gouvernement américain pour vol, espionnage et utilisation illégale des biens gouvernementaux. En 2014, le prix Pulitzer a été décerné à deux médias américains, « The Guardian » et « Washington Post » grâce au courage de leurs journalistes qui ont recueilli et publié les révélations de Snowden.
Affaire Big Brother Watch (CEDH, 25 mai 2021)
Suite aux révélations d’Edward Snowden, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a été saisie pour examiner la compatibilité des articles 8 et 10 de la Convention avec les programmes de surveillance en masse mis en place par les services de renseignement américains et britanniques.
D’abord, les juges ont reconnu l’importance cruciale accordée par les États contractants à la détection des menaces sérieuses à leur sécurité nationale. Cela signifie que l’article 8 de la Convention n’interdit pas les pratiques nécessaires pour la protection des intérêts nationaux contre les menaces extérieures graves. Cependant, la mise en place des garanties contre l’arbitraire et les abus est nécessaire.
La Cour souligne également que le transfert d’informations obtenues ainsi aux États étrangers ou aux organisations internationales doit faire l’objet d’un contrôle indépendant et doit être limité et clairement défini par le droit interne. Ainsi, le destinataire du transfert doit avoir mis en place les mêmes garanties que l’État émetteur.
En dernier lieu, en vue de protéger les sources journalistiques, la Cour estime que l’utilisation des sélecteurs de recherche doit être autorisée par un juge ou un organe décisionnel impartial et justifiée par un intérêt public prépondérant. L’examen de ces communications confidentielles, ainsi que leur conservation nécessitent une autorisation spécifique. En l’absence de ces garanties, le Royaume-Uni a été condamné pour violation de l’article 10.
Actuellement, dans le contexte des pratiques de surveillance accrue, le Conseil de l’Europe a mis en place une campagne pour la protection des journalistes et leur liberté d’expression.
Roxana Vener
M2 Cyberjustice – Promotion 2023-2024
Sources :
TV5 Monde – Lanceur d’alerte: qu’en est-il d’Edward Snowden
Libération de Julian Assange : le fondateur de WikiLeaks est arrivée en Australie
Ken Dilanian, « Officials: Edward Snowden took NSA secrets on thumb drive » (Los Angeles Times)
La Cour européenne des droits de l’homme face à la surveillance de masse (obs. sous Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Big Brother Watch et autres c. Royaume-Uni, 25 mai 2021) – François Dubuisson (Professeur à l’Université libre de Bruxelles, Centre de droit international). Dans Revue trimestrielle des droits de l’Homme 2022/1 (N° 129), pages 123 à 141 (Cairn.info)
Campagne pour la sécurité des journalistes – Liberté d’expression – Conseil de l’Europe (2023-2027)