Avec les dernières annonces faites par Mira Moratti, Directrice Technique d’OpenAI sur le niveau qu’est prêt à atteindre ChatGPT-5, il est possible de se demander quelle tournure prendra l’éducation traditionnelle.
Certes, la Déclaration universelle des droits de l’homme établit que « l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine […] ». De plus, la digitalisation de l’éducation doit permettre « aux individus […] de réaliser pleinement leur potentiel […] » (Sommet mondial sur la société de l’Information).
Dans ce contexte, ces outils semblent être devenus des composantes essentielles des systèmes modernes d’apprentissage. Cependant, certains pourraient arguer que la Suède a fait un pas en arrière. Cinq ans après avoir adopté une stratégie numérique visant à introduire massivement des outils TIC dans les établissements scolaires, une dégradation des performances académiques se manifeste. Une mesure inattendue est alors prise : les manuels scolaires retournent sur les pupitres des écoliers.
Un pas en arrière ou un progrès à venir, personne ne le sait.
Primauté de l’interaction humaine ?
La Directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay, affirmait que « la révolution numérique recèle un potentiel incommensurable, mais […] les interactions en ligne ne peuvent pas remplacer l’interaction humaine ».
En Suède, l’actuelle ministre de l’Enseignement primaire, Lotta Edholm, a décidé d’abandonner la stratégie d’intégration des technologies numériques dans les écoles suédoises, en soulignant que les manuels scolaires présentent des « avantages qu’aucune tablette ne peut remplacer ». Selon elle, la compréhension globale d’un texte est souvent plus approfondie pour un écolier lorsqu’il lit un texte imprimé. Bien qu’elle reconnaisse les avantages de la dématérialisation, tels que les mises à jour en temps réel et l’alternance entre sons, images et textes, elle insiste sur le fait que ces techniques ne doivent pas être utilisées au détriment des élèves et des enseignants.
La dernière étude sur le progrès en matière de maîtrise de la lecture au niveau international (PIRLS, 2021) confirme une baisse considérable de 12 points des résultats des élèves suédois par rapport à celle publiée en 2016. Pourtant, les jeunes occupent encore une des meilleures positions en matière d’enseignement en Europe (PISA, OECD). Plus de 50 millions d’euros ont été alors déployés pour racheter des livres.
Quelle place de l’IA dans l’enseignement ?
Le premier rapport de la Commission européenne portant sur l’analyse de « l’avancement de la mise en œuvre des droits et principes numériques » souligne l’importance d’une éducation numérique plus soutenable et en toute sécurité. En effet, la Déclaration sur les droits et principes numériques européens vise à placer « les personnes et leurs droits au centre de la transformation numérique », favorisant ainsi les principes de solidarité, d’inclusion et de « participation à l’espace public numérique ».
Cependant, à l’heure actuelle, discuter de l’incidence de l’IA en matière d’apprentissage semble encore dérisoire. En 2020, « 1,3 milliard d’enfants âgés de 3 à 17 ans » n’avaient pas accès à une connexion Internet (Rapport de l’UNICEF et de l’Union internationale des télécommunications). L’UNESCO rappelle, à son tour, que les technologies doivent être utilisées judicieusement dans l’éducation (voir Rapport mondial de suivi sur l’éducation).
Selon ce dernier rapport, les systèmes d’évaluation basés sur l’IA sont en mesure d’analyser plus rapidement le progrès des élèves, leurs erreurs fréquentes ainsi que les éventuels plagiats. Cela permet que l’enseignement fournisse aux élèves un contenu dont le niveau de difficulté est optimisé conformément à leurs besoins. Pourtant, on pourrait croire qu’un jour les travaux écrits ne revêtiront plus la même importance et ne seront plus considérés comme des indicateurs de performance. De ce fait, des expériences d’apprentissage immersif et d’autres méthodes d’évaluation devront être envisagées.
Cependant, tout changement ne constitue pas nécessairement un progrès.
L’apprentissage individuel à l’aide des chatbots simplifie le « processus d’obtention des réponses », ce qui pourrait avoir un impact négatif sur la détermination des élèves à s’engager dans une recherche plus indépendante.
Être professeur ou l’art de savoir à s’adapter
Le désir d’innovation semble être prioritaire aux yeux des autorités dans le processus décisionnel, et ce, au détriment de l’équilibre. Pour pouvoir digitaliser massivement un système d’éducation, il est nécessaire d’avoir naturellement les ressources humaines et matérielles appropriées. Or, certains systèmes nationaux ne disposent toujours pas du nombre d’enseignants formés à l’utilisation des technologies émergentes.
Il est indéniable qu’une subtilité existe : le rôle du professeur aujourd’hui n’est plus le même qu’il ne l’était il y a 30 ans. Aujourd’hui, sa vocation consiste à construire un chemin pour ses étudiants, afin de les aider à faire le tri dans un océan d’informations. Les élèves n’apprennent plus par cœur ; désormais, ils doivent surtout savoir où trouver les ressources pertinentes et comment les exploiter de manière judicieuse.
Ainsi, avant de dispenser des enseignements aux autres, les États doivent s’assurer que les établissements scolaires maîtrisent pleinement les outils et les mécanismes technologiques de dernière génération.
Beaucoup ont jugé que la stratégie suédoise de digitalisation de 2017 était un modèle à suivre. Cependant, il a été démontré, de manière plus ou moins subtile, que tout ne peut pas être numérisé. L’éducation demeure un droit fondamental, et il est impératif d’en garantir le respect. L’utilisation des technologies doit servir d’instrument pour améliorer l’exercice de ce droit.
En attendant l’élaboration d’un cadre réglementaire plus clair et adapté aux besoins informatiques, il est essentiel de garantir une éducation qui combine harmonieusement les méthodes traditionnelles et contemporaines.
Roxana Vener
M2 Cyberjustice – Promotion 2023-2024
Sources :
La déclaration sur les droits et principes numériques européens
Le Monde – Too fast, too soon? Sweden backs away from screens in schools