L’Estonie révolutionne le monde de la justice en proposant des juges robots pour résoudre certains litiges civils. Cependant, l’utilisation d’une telle technologie relève-t-elle d’une réalité tangible ou d’une simple fiction digne d’Isaac Asimov ?
L’Estonie, pays pionnier dans l’utilisation des juges robots
En 2019, le pays Balte a décidé d’introduire un système nommé « Estonian e-Justice » développé par Ott Velsberg. Le juge robot a été conçu pour trancher uniquement les litiges civils contractuels dont le dommage est inférieur à 7 000 euros. Les parties impliquées sont tenues de soumettre leurs documents, allégations et preuves via une plateforme dédiée. Le robot peut ensuite analyser ces données, et rendre un verdict. Toutefois, si les parties sont insatisfaites de la décision, elles conservent la possibilité de faire appel. Dans ce cas, l’appel est exercé par un juge humain.
Pourquoi l’Estonie a décidé d’utiliser des juges robots ?
L’État estonien avance divers arguments en faveur de ces juges robots :
- Une célérité : Le système en ligne permet de traiter les litiges plus rapidement, évitant ainsi les longues procédures. Cela entraîne une accélération significative dans la résolution de certains litiges.
- Un désengorgement des tribunaux : Comme l’affirme Ott Velsberg, « nous sommes partis du constat que la justice prenait trop de temps à traiter les petites affaires ». En confiant certains litiges à ces juges robots, les tribunaux seront désengorgés, permettant une gestion plus efficace des autres affaires.
- Une neutralité : Les juges robots appliquent ni plus ni moins les lois et les jurisprudences présentes dans leurs bases de données. Ils n’ont pas la capacité d’interpréter la loi. De plus, étant que des machines, ils sont dépourvus d’émotions qui pourraient influencer leurs décisions. Ainsi, une neutralité objective serait assurée dans le processus de jugement.
Les critiques autour de l’utilisation de ces juges robots
Néanmoins, certains expriment des réserves quant à l’utilisation de cette nouvelle technologie. Beaucoup ont une méfiance à l’égard de ces juges :
- Une potentielle partialité : Les algorithmes ont été élaborés afin d’être impartiaux. Néanmoins, il est possible que des biais se manifestent en raison de la conception de l’algorithme ou de l’entraînement du système. De ce fait, il est envisageable que le juge robot prenne des décisions inéquitables reflétant les préjugés des programmateurs.
- Un manque de fiabilité : Les juges robots restent des outils techniques, et ne sont donc pas sans faille. Ils peuvent être sujets à des bugs informatiques, à des cyberattaques ou encore à des problèmes de connectivité. De plus, malgré leur puissance, ces juges restent des robots : ils n’ont aucuns sentiments et ne peuvent pas comprendre les nuances et les subtilités des arguments juridiques.
- Une collecte de données : Afin de trancher les litiges, les juges robots ont besoin d’accéder à des données personnelles, pouvant inclure des informations sensibles. Par conséquent, certaines préoccupations sont soulevées quant à la protection de la vie privée et des données personnelles.
L’Estonie, un pays à la pointe de la connectivité
L’Estonie est reconnue comme un pays dans lequel le numérique occupe une place importante. En 2017, le magazine américain Wired a même qualifié l’Estonie de « première société numérique au monde ». Et pour cause, depuis les années 2000, la digitalisation des institutions est devenue une priorité pour l’Etat estonien. À titre d’exemple, tous les citoyens disposent d’une carte d’identité numérique.
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que le domaine judiciaire ait la volonté d’utiliser les outils numériques. Les juges robots peuvent être une solution visant à améliorer l’efficacité, accélérer les procédures et désengorger les tribunaux. Cependant, il est primordial de surveiller et de vérifier les décisions prises par ces juges afin de garantir leur fiabilité et leur conformité aux principes de justice.
GRACIA Julie
Master 2 Cyberjustice, Promotion 2022-2023
Sources :
- Algorithmes, justice prédictive et juges-robots, sous la direction de Sylvie Lebreton-Derrien et Rémi Raher
- https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/en-estonie-une-intelligence-artificielle-va-rendre-des-decisions-de-justice-20190401
- https://usbeketrica.com/fr/article/estonie-robots-justice
- https://www.letelegramme.fr/monde/estonie-la-justice-bientot-tranchee-par-des-robots-27-04-2019-12269112.php