You are currently viewing Coin Europe – Réforme fiscale roumaine : quels risques majeurs pour le secteur IT ?
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Au mois de septembre 2023, le Gouvernement roumain engage sa responsabilité devant le parlement en mettant en place une nouvelle réforme relative aux mesures fiscales-budgétaires. Ces dernières visent à assurer «  la soutenabilité financière à long terme » du pays. Selon l’autorité exécutive, les services publics s’élèveront ainsi aux standards européens. Quid des incidences sur le cybermarché ?

Cette « Silicon Valley européenne » qu’est la Roumanie dispose du plus grand nombre d’informaticiens certifiés. Le pays occupe la quatrième position dans le rang mondial des médailles obtenues aux compétitions en technologies de l’information et de la communication (TIC). La Roumanie accueille le Centre européen de compétences en matière de cybersécurité, étant également le premier pays en Europe à mettre en place un numéro d’urgence unique pour les incidents de cybersécurité. De plus, le rapport « Remote Working Index » l’a qualifiée comme étant la meilleure ville au monde pour travailler à domicile ou à distance en 2020. 

Cependant, certains vices de constitutionnalité font que cette réforme législative affecte considérablement le développement informatique roumain.

Une procédure législative inconstitutionnelle et épineuse ? 

La contrariété de la loi aux règles constitutionnelles et à la jurisprudence antérieure de la Cour Constitutionnelle a été débattue par le ministère roumain de la Justice. 

  • Plusieurs domaines de réglementation sont visés

La loi doit avoir un « objet de réglementation unitaire et non pas hétérogène » (cf. Décision n°467/2023 du 2 août 2023, paragraphe 88). 

  • Les impôts sont réglementés à travers des décrets gouvernementaux

L’article 139, premier alinéa, de la Constitution dispose que les « impôts […] ne sont établis que par la loi ». En France, ce principe relève de l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Ainsi, la régulation des impôts à travers la loi garantit leur répartition équitable et leur légitimité. 

  • L’initiative législative du Gouvernement en sa qualité d’autorité exécutive

En réalité, ce processus est strictement limité à des cas précis : 

  • La procédure d’urgence ou celle ordinaire ne sont plus possibles, 
  • La structure du Parlement ne permet pas l’adoption du projet de loi selon ces deux dernières procédures (cf. Décision n°1431 du 3 novembre 2010).

La suite politique

En théorie, l’idée d’une motion de censure était à l’étude, mais aucun des partis opposants n’a réussi à réunir le nombre de signatures requis. C’est pourquoi ce paquet de mesures fiscales a fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité a priori devant la Cour. Cette dernière a estimé que la responsabilité du gouvernement dans le projet de loi visait « un objectif unique et unitaire, respectivement l’augmentation des recettes du budget public et la réduction des dépenses publiques ». 

Une tradition législative de plus de 22 ans change une fois avec la modification de l’article 60 du Code fiscal. Désormais, dans le secteur de l’informatique, ne seront exonérés que les contribuables « exerçant une activité de création de programmes informatiques » ayant un revenu mensuel brut inférieur à 10.000 RON (2 000 euros). 

Une loi fiscale dangereuse pour le TIC

Prioritairement, quelques données statistiques sont nécessaires. Le marché local des TIC, en Roumanie, représente actuellement 7% du PIB et devrait atteindre 12 milliards d’euros. Le secteur affiche « un taux de croissance annuel trois fois plus élevé » que la moyenne nationale, soit entre 15 et 17%. Les grandes entreprises comptant plus de 250 employés (76% des employés du secteur ont des études universitaires) y ont une position dominante avec un chiffre d’affaires de 4 milliards d’euros, soit 47% du total de l’industrie. En 2023, la Roumanie se classe douzième en Europe en termes de valeur du secteur des logiciels, évaluée à 3,4 milliards d’euros.

Cela étant, les amendements fiscaux semblent anéantir le développement du secteur TI au niveau régional et vont freiner le secteur digital roumain « sans précédent ». Mihai Matei, PDG d’ANIS, note que, dans le contexte d’une « nouvelle révolution industrielle », il faudrait « accélérer la compétitivité et l’innovation […]. Une mesure de ce type constituerait une erreur de politique économique et un pas en arrière dans le développement économique de la Roumanie ».

Toutefois, avant la prise de cette décision, certaines conditions auraient dû être toujours remplies en vue de bénéficier de ladite exemption :

  • L’objet d’activité de l’entreprise doit inclure « la création de programmes informatiques » ;
  • Les postes des employés correspondent aux professions mentionnées sur une liste prédéterminée ;
  • Un diplôme d’études supérieures a été obtenu par l’employé ; 
  • L’employeur a réalisé au cours de l’exercice précédent des revenus provenant de l’activité de création de programmes informatiques ; 

Un changement de paradigme dans le recrutement se manifeste, les employeurs optant pour un personnel plus jeune et moins expérimenté en raison de l’exemption d’impôt pour les salaires ne dépassant pas 2000 euros. Or, certaines spécialisations comme la cybersécurité ou l’intelligence artificielle peuvent générer des salaires nets allant de 1 000 à 2 500 euros, entraînant ainsi une pénurie importante de spécialistes. Cela entraîne un déséquilibre entre les salariés et leurs employeurs qui auront désormais plus de contrôle sur le choix des candidatures. 

Le Chef des Services Fiscaux et Juridiques de PwC Roumanie, M. Daniel Anghel, considère que, malgré ces effets négatifs, la compétitivité fiscale de la Roumanie reste attrayante par rapport à d’autres pays de l’Union Européenne, même sans ces exonérations. 

Selon lui, le Plan National de Relance et de Résilience (PNRR), que la Roumanie est chargée de mettre en œuvre, implique que les secteurs économiques ayant bénéficié de certains avantages fiscaux doivent faire l’objet d’une évaluation périodique. Leur réduction ou leur suppression permettrait ainsi d’éviter toute injustice fiscale. 

 

Roxana VENER 

Master 2 Cyberjustice – Promotion 2023/2024

 

SOURCES ARTICLE 

Projet de loi [Ministère des  finances – LEGE privind unele măsuri fiscal bugetare pentru asigurarea sustenabilității financiare a României pe termen lung] 

Romania – Europa Libera :  Le Ministère de la Justice critique la réforme fiscale du Premier Ministre Ciolacu et fournit des arguments à l’opposition pour contester la loi devant la Cour Constitutionnelle 

Economica – Le marché des technologies de l’information (TI) en Roumanie représente 7% du PIB et a dépassé la valeur de 9 milliards d’euros – selon une étude de l’ANIS 

Ibis World –  Développement de logiciels en Roumanie – Statistiques de l’industrie 2011-2026 

Best Jobs –  La suppression des avantages fiscaux dans le domaine des technologies de l’information aggrave une crise déjà ressentie sur le marché du travail. La concurrence entre les candidats va encore augmenter.

Conseil de l’UE –  Présentation sur le Centre européen de cybersécurité industriel, technologique et de recherche à Bucarest

Revista BIZ – ANIS : La taxation des revenus du secteur IT, un effet dévastateur sur l’économie 

Panorama –  L’impact des mesures fiscales, avec leurs aspects favorables et défavorables, soulève la possibilité que le gouvernement se trouve en difficulté dans sa gestion des données face à la réalité économique

 

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