You are currently viewing Le statut de travailleur salarié enfin reconnu pour les chauffeurs Uber au Royaume-Uni

Alors que la volonté des prestataires de services de voir leur statut d’indépendant se transformer en travailleurs salariés est de plus en plus insistante, Uber vient d’annoncer un accord visant à octroyer le statut de travailleur salarié à ses chauffeurs VTC britanniques.

Uber est une plateforme, c’est-à-dire, un système numérique qui met en relation des utilisateurs, permettant la rencontre entre des offres et des demandes, sous une forme dématérialisée. En l’occurrence, Uber permet à des prestataires d’offrir des services d’activités de transports de personnes, mais aussi de nourriture.

Les prestataires qui offrent leurs services sur des plateformes associent deux questions complexes à l’égard du droit du travail. En effet, d’un point de vue juridique, ils sont indépendants à l’égard de la plateforme. Pourtant, d’un point de vue économique, ils sont dépendants de la plateforme, car c’est la plateforme qui offre la possibilité au prestataire d’offrir un service. C’est pour ces raisons que le droit, trop peu moderne à propos de ces enjeux, démontre des difficultés afin de trancher les contours de ces nouvelles problématiques. 

Un accord conclu entre Uber et ses prestataires

Désormais, et depuis le 17 mars 2021, les plus de 70 000 chauffeurs VTC de la plateforme Uber bénéficient du statut de travailleurs salariés, en remplacement de leur statut de travailleurs indépendants. Les conséquences sont alors importantes juridiquement. En effet, grâce à ce statut, ces chauffeurs toucheront au moins le salaire minimum, auront droit à des congés payés et pourront cotiser à un plan d’épargne-retraite, auquel contribuera la société. Ces avantages étaient jusqu’alors incompatibles avec le statut de travailleur indépendant.

Pourquoi une telle décision ?

Cet accord trouvé entre Uber et ses chauffeurs de VTC fait suite à une décision de la Cour suprême britannique en date du 19 février 2021. Dans cette décision, la plus haute juridiction britannique a estimé que les chauffeurs Uber pouvaient être considérés comme des travailleurs salariés, donnant ainsi tort à Uber, qui l’avait saisie après avoir perdu à deux reprises, en 2017 et 2018, devant des tribunaux. En effet, la compagnie estimait que ses chauffeurs de VTC étaient des travailleurs indépendants, dans la mesure où ceux-ci avaient la liberté de choisir leurs horaires et lieux de travail, et la liberté de collaborer avec plusieurs applications en même temps, et donc avec la concurrence. Pourtant, les tribunaux britanniques considèrent, à chaque fois, que compte tenu du temps qu’ils passent en étant connectés à l’application et du contrôle exercé par le groupe, par exemple avec leur évaluation, ils sont considérés comme des travailleurs non indépendants.

En revanche, il est intéressant de remarquer que la plateforme Uber insiste sur le fait que la Cour suprême se prononce sur le statut de « travailleur » plutôt que sur celui d’« employé », dont les droits sont un peu plus élevés dans la loi britannique.

Et en France ?

En droit français, la jurisprudence a connu d’importantes évolutions. Dans un premier temps, les juges français ont majoritairement refusé de qualifier ces travailleurs de salariés et insistaient généralement sur le fait que ces salariés s’étaient présentés comme des indépendants, de part leur inscription au régime de statut d’auto entrepreneur, et étaient libres d’organiser leurs activités, en ce qui concerne leur zone d’intervention, leur itinéraire, les jours et heures de travail, et le fait de se connecter ou non, à la plateforme. 

En revanche, la doctrine a proposé d’autres arguments afin de démontrer l’existence d’un lien de subordination existant entre la plateforme et le prestataire, et donc la nécessité d’établir un contrat de travail. C’est ainsi que la Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts importants dans lesquels elle a admis la qualification de salariés à ces prestataires de services, dont les arrêts du 28 novembre 2018 (à propos de la livraison de repas à domicile), et celui du 4 mars 2020 (à propos des chauffeurs de VTC). En effet, dans ces arrêts, la Cour de cassation relève alors plusieurs indices pouvant caractériser l’existence d’un lien de subordination, condition préalable à la formation contrat de travail :

  • L’incapacité pour le chauffeur de fixer librement ses tarifs, de se constituer une clientèle propre ou encore de fixer les conditions dans lesquelles il exerce sa prestation.
  • L’incapacité pour le chauffeur du choix de l’itinéraire puisqu’il lui est imposé, et des sanctions sont appliquées s’il ne le respecte pas.  
  • L’incapacité pour le chauffeur de connaître la destination finale de la course, il ne peut donc choisir si la course lui convient ou non.
  • La possibilité pour Uber de sanctionner un chauffeur en cas de refus de courses, ou si son taux d’annulation de course est élevé, ou encore si son comportement est problématique et est signalé auprès de la plateforme.

En résumé, pour la Cour de cassation, il existe un lien de subordination, entre Uber et ses prestataires de services, car ces éléments caractérisent l’existence d’un travail effectué sous l’autorité d’un employeur ayant le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Des conséquences certaines pour les économies basées sur les plateformes numériques

Si certains chauffeurs se disent attachés à leur statut d’indépendant, pour Uber la décision de la Cour de cassation « n’entraîne pas une requalification immédiate ou automatique de tous les chauffeurs utilisant l’application ». Pour autant, de nombreux autres pourront s’appuyer sur cet arrêt de la Cour de cassation afin de faire valoir leur statut de salariés. Les conséquences seraient colossales pour ces plateformes : en obtenant la requalification du contrat commercial en contrat de travail, l’auto-entrepreneur est fondé à obtenir une indemnisation importante, à savoir le paiement d’une indemnité au titre du travail dissimulé, soit 6 mois de salaire (cf. articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail). De plus, le chauffeur salarié peut également revendiquer les droits reconnus par le code du travail, comme par exemple l’application des règles sur le temps de travail, la rémunération, les congés payés, les procédures disciplinaires, la mise en place d’un CSE, la négociation collective, etc.

Enfin, les conséquences de cet accord au Royaume-Uni, et de cet arrêt de la Cour de cassation  en France, pourraient  remettre en cause le modèle économique d’Uber, mais aussi de l’ensemble des plateformes numériques qui fonctionnent grâce à l’« économie des petits boulots » (on parle de « gig economy » au Royaume-Uni, économie représentant 5 millions d’emplois dans ce pays). Par exemple, les livreurs de la plateforme de livraisons de repas Deliveroo tentent, devant la Cour d’appel de Londres, de pouvoir bénéficier d’une convention collective, et donc d’obtenir des droits similaires à ceux dont pourraient bénéficier des travailleurs salariés.

Thomas REGIOR

M2 Cyberjustice – Promotion 2020/2021

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