Le profilage, concernant le juge, consiste à analyser des données afin de prédire le comportement du juge. Mais, est-il dangereux de profiler les juges ?

Tout d’abord, le profilage des juges pourrait être possible grâce à l’open data des décisions judiciaires. Effectivement, les décisions sont mises à disposition du public. Par ce biais, elles peuvent donc être analysées. Ce n’est pas tout, si les noms des parties au procès sont pseudonymisés, c’est-à-dire que le nom est occulté, ce n’est pas le cas pour les juges, leurs noms apparaissent sur la décision. Par conséquent, un logiciel pourrait parfaitement analyser le comportement d’un juge afin de prédire les décisions qu’il est susceptible de rendre. Cela peut poser quelques problèmes. 

Il parait compliqué d’analyser le comportement d’un juge sur des éléments précis pour un logiciel de prédiction.  La décision du magistrat n’est pas rendue uniquement en considération d’un fait et d’une loi. Le juge apprécie l’affaire selon le contexte dans lequel elle se trouve, il y a une part de subjectivité, d’humanité, de morale, chose que le logiciel ne peut pas prendre en compte.

De plus, la justice étant rendue au nom du peuple français, le fait que le nom des magistrats apparaît sur la décision revêt une forme de personnalisation de la justice. Elle n’est plus rendue au nom du peuple français mais au nom d’un juge. 

La jurisprudence, quant à elle, risque d’être figée. Si le juge a conscience que son comportement est analysé une forme de pression peut s’exercée sur lui. Il aura sans doute plus de mal à aller contre la jurisprudence majoritaire et créer un revirement de jurisprudence. Le risque est d’entrer dans un système anglo-saxon et de se baser sur le précédent jurisprudentiel uniquement. Cependant, la manière de rendre les décisions du juge évolue avec les changements sociaux, avec les évolutions. C’est pour cette raison que les revirements sont importants. La réalité sociale d’aujourd’hui n’est peut-être pas celle de demain, le juge est là pour apprécier au mieux la situation et rendre la meilleure décision. Cela parait compliqué si le juge sent une pression s’exercer sur lui. De plus, le juge doit être impartial, il ne doit pas avoir de préjugé. Son impartialité pourrait bien se trouver compromise s’il ressent une certaine pression, ou même si le logiciel rend une décision différente de la sienne, il serait influencé. 

  Le profilage des juges pourrait en outre créer une forme de forum shopping. Les justiciables choisiraient avec soin leur juge afin d’obtenir la meilleure décision possible. Cela entrainerait alors un engorgement de certains tribunaux et un désengorgement d’autres. Cela nuirait donc à la bonne administration de la justice. 

Le justiciable pourrait aussi avoir plus de facilité à se tourner vers les modes alternatifs de règlements des litiges s’il voit qu’aucun juge n’est susceptible de lui rendre une décision favorable. Cependant, cette justice alternative est couteuse, elle ne sera pas accessible à tout le monde. Certains pourraient en bénéficier et d’autres resteraient dans la situation litigieuse. 

Le profilage des juges pourrait bien menacer notre justice. Aujourd’hui, la loi du 23 mars 2019 interdit le profilage des juges, elle dispose que « Les données d’identité des magistrats ne peuvent faire l’objet d’une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d’évaluer, d’analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées ». Cependant, il n’est pas improbable que des legaltech utilisent tout de même ces données. 

Aurore Boibessot 

M2 Cyberjustice – Promotion 2019/2020

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