You are currently viewing Les travailleurs du clic : Amazon Mechanical Turk 

Lancé en 2005, Amazon Mechanical Turk, littéralement « Turc mécanique d’Amazon », est une base de micro-tâches offertes au public.

Amazon est à l’origine de cette plateforme web de « crowsourcing » qui vise à faire effectuer des tâches plus ou moins complexes par des humains et contre une rémunération. Ces activités peuvent prendre diverses formes mais, en général, elles concernent celles où l’intelligence artificielle (IA) est peu efficace et performante.

Un grand nombre de tâches dématérialisées sont postées en permanence sur le site. Amazon appelle celles-ci les « Human Intelligence Tasks » (HITs) c’est-à-dire les « tâches d’intelligence humaine ».

Parmi les HITs : identifier des objets sur des images ; retranscrire des fichiers audio ou vidéos ; réaliser des sondages, des questionnaires en ligne ; traduire des textes… 

En effet, à travers des tâches répétitives, les travailleurs au clic contribuent à fournir une multitude de données aux algorithmes pour qu’ils améliorent leurs capacités d’IA. Cette fonction de formateur qui leur est attribuée, est devenue plus importante avec la montée en puissance du « Machine Learning » permettant aux machines d’apprendre elles-mêmes à reconnaître les modèles en analysant les données qu’elles reçoivent.

Dans ce système, trois parties sont concernées :

  • Les demandeurs de tâches dits « requesters » proposent la réalisation d’une tâche précise et fixent le montant de la rémunération. Ils n’ont cependant pas le statut d’employeur.
  • Les travailleurs dits « turkers » se présentent pour les HITs.
  • Amazon procure cette plateforme d’échanges. L’entreprise n’intervient pas dans le rapport requester/turker mais opère une retenue proportionnelle à la rétribution versée au travailleur pour chaque tâche.

Le nom de ce service n’est pour autant pas anodin. « Mechanical Turk » fait référence à une supercherie datant de la fin du 18e siècle. Ainsi, un automate inventé à cette période, se présentait comme un joueur d’échec mécanique capable de battre de forts joueurs. En réalité, un joueur humain de petite taille était caché à l’intérieur de la machine et pilotait les déplacements de celui-ci.

Une façon pour Amazon de souligner que derrière l’apparence de l’intelligence mécanique se trouve l’intelligence humaine, et le service est d’ailleurs qualifié « d’Intelligence Artificielle Artificielle ». 

L’inscription à la plateforme se fait via un compte Amazon. Depuis avril 2019, le site Mturks dont l’accès était fermé à certaines nationalités, n’accepte plus l’inscription de nouveaux travailleurs depuis la France.

Le salaire médian d’un travailleur au clic : 2 dollars de l’heure

Aujourd’hui, le nombre réel des micro-tâcherons est ignoré mais Amazon retient qu’ils sont 500 000. Selon une étude du Pew Research Center, plus de la moitié détiendraient un diplôme universitaire. En effet, il s’agit pour la plupart d’un moyen de rémunération supplémentaire voire primaire. D’autant plus que les « clickworkers » sont satisfaits d’avoir la liberté de travailler depuis chez soi et de moduler leurs volumes de travail.

Toutefois, ces derniers passent plus de 15 heures hebdomadaires sur la plateforme pour gagner environ 2 dollars/heure. Ils sont dénués de contrat, de statut, de droit de travail et ne sont soumis à aucune forme de contrôle. Leur liberté de travail est donc accompagnée d’une précarité. D’ailleurs, il est nécessaire d’avoir une certaine réactivité et rapidité pour avoir une tâche compte tenu du nombre total de Turkers.  

En outre, tous les travailleurs du Mechanical Turk d’Amazon ne sont pas égaux : après chaque tâche effectuée, ces derniers sont évalués par le demandeur. Leur réputation devient un moyen de pression qui leur permet soit de demeurer de simples « ouvriers du numérique » soit de devenir des « Master Level » favorisant leurs accès à davantage d’offres mieux payées. 

Etre un ouvrier invisible d’Internet à titre gratuit ?

Ces travailleurs sont, malgré des sommes dérisoires, rémunérés. Néanmoins, il faut préciser que nous, internautes, faisons chaque jour en ligne un travail semblable à titre gratuit et au service des grandes plateformes : lancer une recherche sur Google, liker un post Facebook, écouter une chanson plutôt qu’une autre sur Spotify, ou même cliquer sur une série de photos montrant des voitures pour prouver que nous sommes bien des humains et non des robots (CAPTCHA). 

En l’espèce, nous vérifions que l’image a correctement été annotée. C’est, effectivement, un échange de service gratuit entre nous et les grands groupes. 

L’avenir de l’IA : une remise en question

Il faut alors se demander pourquoi faire appel à des humains, plutôt qu’à l’intelligence artificielle de bout en bout ? Parce que les tâches proposées, comme l’identification d’images ou la retranscription de sons, restent encore très compliquées à réaliser pour une machine, malgré les progrès en reconnaissance visuelle ou vocale.

Aujourd’hui, à travers cette plateforme, il s’agit d’utiliser la foule pour préparer les données qui éduqueront les machines : en amont, pour établir des bases de données et en aval, pour évaluer et tester leurs choix. Malgré les avancées de l’IA et ses promesses d’un futur assisté, ce ne sont pas les machines qui travaillent pour les humains mais bien le contraire !

L’intelligence artificielle et les machines remplaceront-ils un jour totalement l’Homme au travail ? Il est très difficile de répondre de manière objective à cette question, mais une chose est sûre : l’IA reste encore majoritairement une affaire d’humains.

Sumeyye ASAN

M2 Cyberjustice 

Promotion 2020/2021

Sources :

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/05/22/les-damnes-de-la-toile_5131443_4408996.html

https://lesjours.fr/obsessions/amazon-turkers-travail/ep1-amazon-mechanical-turk/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Amazon_Mechanical_Turk

https://www.humanite.fr/tacherons-damazon-pour-une-pincee-de-dollars

Crédit Image : Sumeyye Asan