Image associée
https://www.eunews.it/2016/05/30/agenzia-ue-diritti-fondamentali-nuove-sfide-su-migranti-terrorismo-e-privacy/59858

Notre société est confrontée depuis quelques années à des changements technologiques majeurs. Le système juridique français ne fait pas exception. Ces bouleversements ont induit une certaine rupture au sein d’une justice, pourtant traditionnelle, dont les magistrats étaient parfois raillés pour leur décalage et leur incompréhension des nouvelles technologies1. Le changement s’est introduit par plusieurs biais : dématérialisation de la procédure, introduction de la visioconférence ou justice prédictive, la modernisation a gagné plusieurs aspects de la procédure. Naturellement, la technologie a un côté démystificateur de ce rituel, elle désenchante la justice. Cet aspect est exacerbé par les médias. 

Ainsi, des affaires très médiatisées ont d’importantes conséquences sur l’équilibre du processus judiciaire et le droit des parties à un procès équitable. Par exemple, l’utilisation des médias peut avoir une influence sur le soutien du public à une partie ou à l’autre du procès. La réputation d’une partie peut alors se retrouver salie, même si elle gagne le procès. 

Si cet aspect d’influence des médias n’est pas nouveau, il est décuplé par les réseaux sociaux. Ces nouveaux médias en ligne permettent de rapprocher les individus. Chacun peut rendre son opinion publique concernant des procès en cours ou des jugements rendus. Le plus souvent, ces avis sont rédigés sur les réseaux sociaux et s’amoncellent sous forme de divers tweets, commentaires, posts, statuts ou encore vidéos. On arrive ainsi à une justice de l’opinion publique qui semble paraître surpasser le droit, le juge en lui-même. Le temps est loin où l’on s’en tenait à un laconique « laissons la justice suivre son cours ». Ce nouveau jury populaire improvisé vient donner son avis, sans forcément bien comprendre les tenants et les aboutissants d’un procès. 

Un exemple des plus marquant est l’affaire Jacqueline Sauvage2. Nous n’allons pas nous attarder sur l’affaire en elle-même, les débats qui en ont résulté ayant déjà beaucoup approfondi le sujet. La pression populaire a été si grande que le président François Hollande a utilisé la procédure exceptionnelle de la grâce présidentielle. Si quelques voix se sont élevées pour dénoncer une certaine dictature de l’émotion, elles ont vite été balayées par l’opinion majoritairement émise. 

Un autre exemple d’impact de l’opinion publique sur la justice est l’affaire du juge Xavier Lemeyre. En 2010, juge de la liberté et de la détention à Créteil, il prend certaines décisions de mise en liberté jugées aberrantes par certains services de police. Très vite, il fait l’objet d’une campagne de dénigrement et est surnommé dans les médias « Liberator »3 ou encore « le magistrat préféré des voyous du 9-4 ». Face au scandale qui monte, sa hiérarchie choisit de le déplacer en raison de « l’importance des critiques et de leur écho médiatique tant dans le monde judiciaire que dans la société, ce qui fragilise sa mission et peut porter atteinte à la crédibilité du tribunal ». 

Dans ces deux affaires, le regard médiatique scrute les rouages de la justice pour trouver le moindre accroc et s’émeut ou s’empare d’un élément qu’il trouve scandaleux pour le jeter en pâture au public sans réellement chercher à comprendre quelle en est l’explication. L’image du « moloch judiciaire » qui terrorise les accusés sans défense semble bien loin. Souvent, le peuple critique une « justice à deux vitesses » qui accentue la fracture sociale et a tendance à comparer des affaires pour brandir une preuve de l’injustice des jugements rendus. Lorsque les médias se sont emparés d’une affaire en décrivant l’accusé au vitriol, le doute ne lui profite plus. 

Médiatiser une affaire peut également être une stratégie politique. Souvent, certaines affaires sont ainsi récupérées pour promouvoir une certaine ligne de conduite. Les institutions judiciaires, qui sont à la base conçues pour fonctionner à distance du public, ne sont pas préparées à ces médias de masse qui viennent pointer du doigt leurs moindres carences. Le malentendu vient du hiatus entre la singularité d’une décision et sa perception par l’opinion. Certaines personnes reprochent à la justice de favoriser l’impunité tandis que d’autres dénoncent des choix liberticides. Ainsi, le magistrat a du mal à trouver l’équilibre entre toutes ces opinions contradictoires qui ne souffrent pas l’attente. Nous sommes dans une société de l’instantané qui exige des réponses, qui exige des têtes. La lenteur de la procédure judiciaire (qui n’est pas mauvaise en soi, le juge a besoin d’un temps de réflexion, la justice ne peut pas être expéditive) est pointée du doigt et la procédure, autrefois absconse, est placée en pleine lumière. Le moindre accroc et c’est fini, l’émotion s’empare des réseaux sociaux, enflamme le discours politique qui annonce pêle-mêle sanctions, réformes et nouvelles lois. 

Attention toutefois à ne pas tomber dans un travers inverse : si l’opinion publique peut parfois s’ériger en un tribunal implacable qui vient perturber des institutions ou des procédures, il ne faut pas oublier qu’elle émane des citoyens qui gardent leur mot à dire sur la vie de la société. La démocratie d’opinion constitue la forme directe et moderne de l’expression des citoyens, capable de compléter, voire de dépasser les rituels de la démocratie. L’open data des décisions judiciaires rend la justice plus accessible et plus compréhensible pour le justiciable qui s’y intéresse. La justice ne peut, de toute façon, pas se permettre de rester à l’écart des évolutions technologiques. Bien implantées, ces dernières peuvent lui permettre d’améliorer l’efficacité de ses procédures. Si elles permettent de rendre le droit accessible et plus compréhensible aux profanes, le pari sera gagné. Le tout est d’introduire intelligemment le numérique au sein des institutions judiciaires tout en les gardant suffisamment neutres et impartiales vis-à-vis de la politique et de l’opinion publique qui ne doivent pas l’influencer.


Anne Radovitch
Master 2 Cyberjustice – Promotion 2018-2019