Le Printemps arabe a souvent été décrit comme une révolution numérique tant le rôle des nouvelles technologies et particulièrement des réseaux sociaux a été mis en avant lors des contestations politiques en Tunisie et en Égypte à partir de décembre 2010. S’il est indiscutable que ces nouveaux médias ont permis à de nombreux jeunes de participer aux mobilisations et ont offert une résonance jusqu’en Occident, il convient cependant de nuancer ce facteur numérique.
La zone arabe n’est pas uniforme et la transition numérique s’est effectuée plus ou moins rapidement selon les pays. La Tunisie est la première à l’avoir effectué puisqu’il s’agit du premier pays africain à se connecter au réseau Internet dès 1991. Grâce à un taux d’alphabétisation plus haut que la moyenne, les nouvelles technologies se sont très vite introduites dans les foyers tunisiens : 36,8% des individus utilisaient Internet en 2010 contre seulement 9,66% en 2005.
Le Maroc est le seul pays arabe où plus de la moitié de ses habitants (52%) utilisent Internet en 2010. Des chiffres aussi bas peuvent s’expliquer par l’analphabétisme encore très présente dans la zone arabe (40% de la population de la région), ainsi un tiers des habitants sont incapables d’accéder à l’information numérique.
Pourtant, si le public d’internet est encore restreint au début des années 2010 dans la zone arabe, il est avant tout jeune. En effet, les pays arabes ont connu une forte croissance démographique entre les années 1970 et les années 2000 avant une phase de décélération, ce qui entraine un rajeunissement progressif de la population.
En 2009, l’âge médian en Égypte était de 24,3 ans et de 30 ans en Tunisie. Il atteignait même 22,1 ans en Jordanie. Ainsi 52,3% de la population égyptienne et 42,1% en Tunisie avait moins de 25 ans. C’est grâce à cette population très juvénile que s’est accéléré l’usage d’Internet et des réseaux sociaux.
Si le soulèvement n’a pas été déclenché grâce aux nouvelles technologies, elles ont cependant accompagné le mouvement à de nombreuses reprises. On peut par exemple citer le mouvement « Je suis Khaled Saïd » né sur Facebook en juin 2010 suite à l’arrestation et à la torture d’un activiste égyptien qui a permis l’ouverture d’une enquête. On a pu observer pendant les contestations, la multiplication des blogs politiques (500 000 blogs en 2006 dont 160 000 rien qu’en Égypte), le recours aux forums et la mise en ligne de photos et de vidéos rendant visibles des pratiques que les régimes tenaient secrètes via un contrôle des médias traditionnels.
En 2011, on comptait 30 millions d’internautes dans le monde arabe, soit une personne sur quinze, et parmi eux, 12 millions utilisaient Facebook et 15 millions Twitter.
Ces mobilisations contre Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie et contre Hosni Moubarak en Égypte ont pour origine une jeunesse frustrée. Comme dit précédemment, la majorité de la population a moins de 25 ans et suite à une massification de l’enseignement supérieur et à un chômage assez important, entre 20 et 40% des 14-25 ans suivant les pays, beaucoup de jeunes se retrouvent marginalisés économiquement et développent une frustration à l’égard de l’État et de l’autorité familiale et religieuse. En effet, il n’est pas rare que ces jeunes soient dans l’impossibilité de se marier et de fonder une famille par manque de moyens financiers. Ce sont ces facteurs socio-politiques associés aux médias les plus actuels qui ont permis de telles contestations.
Il est important de rappeler que les révolutions ne se font pas devant un écran mais bien dans la rue et les cyber-activistes sont souvent issus de la jeunesse urbanisée et aisée sans expérience syndicale et militante et souvent incapables de structurer un mouvement.
En outre, le rôle de la télévision et particulièrement des chaînes satellitaires n’est pas à mettre de côté. Si elles ne sont pas directement à l’origine de la mobilisation, elles l’ont amplifiée en suivant le mouvement une fois les soulèvements démarrés.
C’est la chaîne satellitaire Qatarienne Al Jazeera qui a joué un rôle particulier, première chaine critique disposant d’une aura internationale, elle a notamment repris les contenus locaux en Tunisie et couvert les manifestations de la place de Tahir et a ainsi permis une plus grande visibilité des évènements.
En réalité, si le Printemps arabe a été si souvent qualifié de révolution numérique en Occident, c’est simplement parce qu’il s’agit du premier mouvement de cette ampleur couvert par les réseaux sociaux, Facebook et Twitter n’étant crées que depuis quelques années lors des évènements. Il n’est donc pas surprenant dans un pays où 80% des jeunes déclarent utiliser Internet tous les jours et où 60% ont rejoint un réseau social que le moyen de communication utilisé soit les réseaux sociaux.
Face à cette mise en place de canaux de substitutions afin d’échapper au contrôle des médias traditionnels servant d’instruments de contrôle et de propagande, les gouvernements arabes mettront tout en œuvre pour restreindre leur utilisation : contrôle des identités dans les cybercafés en Syrie, arrestations de centaines de blogueurs activistes au Bahreïn, censure de sites et de blogs, pistages d’internautes, les autorités égyptiennes allant même jusqu’à bloquer l’ensemble des réseaux de communication pour tenter de limiter la propagation des mobilisations en février 2011.
Internet n’a ainsi été qu’un catalyseur, elle a permis de révéler au grand public des pratiques, de structurer des mouvements leur donnant une cohérence d’ensemble et d’en mettre en place d’autres mais n’a été en aucun cas un déclencheur : ce sont des facteurs extérieurs qui ont joué ce rôle. Internet s’est présenté comme un refuge contre l’autoritarisme et a rempli son rôle, permettant une mobilisation et un soulèvement dans le monde physique réel.
De Thy Rebecca
Master 2 Cyberjustice – promotion 2018-2019
Source :
https://cpa.hypotheses.org/2484#identifier_1_2484 « les origines culturelles numériques » de la Révolution arabe (blog « culture et politique arabe »)
photo: http://www.socialter.fr/fr/module/99999672/550/printemps_arabe_le_numrique_a_pu_avoir_des_qconsquences_extrmement_ngativesq
Livre Un monde arabe en morceaux : des printemps arabes à Daech de Charles Thépaut