You are currently viewing Les dérives sectaires sur internet

La liberté de culte 

« Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas » cette phrase attribuée à André Malraux, plus ou moins justement, n’en est pas moins une réalité. Le XXIe siècle n’est pas religieux, ou en tous les cas, beaucoup moins que ses prédécesseurs, mais il participe d’une spiritualité diffuse et complexe. Les sectes en sont une composante. Elles ont posé des difficultés récemment en France, car elles touchent à des droits fondamentaux propres à chacun, tels que la liberté d’opinion, de culte, d’association, dans certains cas le droit de propriété, ou simplement à la garantie des droits. Le législateur est donc intervenu à plusieurs reprises ces trois dernières décennies à ce propos. 

À titre préliminaire, en droit français, la définition juridique de la secte a été une première difficulté. La France ne reconnaît juridiquement aucun culte. C’est là, le principe fondateur de la laïcité, et de ce fait l’une des principales complexités de la lutte contre les dérives sectaires. Le fondement de cette laïcité négative, est l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. […] » Ainsi, en employant le terme « croyances », le texte constitutionnel ne distingue pas les religions, les courants de croyance et les sectes. L’État est neutre, et ne s’immisce pas, en théorie, dans les pratiques ou l’organisation d’un mouvement de croyance. Les communautés cultuelles doivent se conformer au droit positif, mais uniquement au droit positif qui ne distingue pas ces groupes au regard d’autres, laïcs, civils ou politiques. 

L’appréhension des sectes par le droit

À ce jour, aucune définition juridique générale de la secte n’existe. Pour la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, «il s’agit d’un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l’ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. » Elle se caractérise plus par ses conséquences et ses victimes, que par son fonctionnement et son but intrinsèques. 

L’idée au cœur de la secte est la sujétion de ses membres. Il peut en effet s’agir d’opération d’une seule personne ou d’un groupe. Mais la conséquence est que la victime est privée de tout ou partie de son libre-arbitre. C’est la création d’une dépendance, réelle ou fictive, et de son exploitation dommageable pour la victime, son entourage ou la société. C’est donc un processus d’isolement des individus : la sujétion physique ou psychologique. C’est ainsi que le droit interne appréhende les sectes, du point de vue de ses conséquences. Trois critères sont donc utilisés : les atteintes aux droits de l’Homme, les atteintes aux libertés fondamentales et les risques d’atteintes à l’ordre public, aux lois et règlements. Auparavant, le critère des bonnes mœurs était également utilisé, mais il est actuellement plus complexe à manipuler. Des outils législatifs fondent la répression de ces agissements, comme l’abus de faiblesse introduit en 2001. Les dispositions pénales et civiles concernant la lutte contre les dérives sectaires et la protection des victimes correspondent donc à un équilibre entre la liberté de chacun et la lutte contre ces entités complexes.

Les nouveaux enjeux d’Internet

Pour associer les sectes et l’émergence d’Internet, il faut noter que les rapports parlementaires concernant les sectes sont inexistants depuis 2006. Autrement dit, cette thématique des dérives sectaires, si elle a connu une ébullition entre 1990 et 2006, s’est depuis largement tarie. Surtout, les enjeux d’Internet pendant cette période étaient bien plus faibles, contrairement à aujourd’hui. Réservé à quelques connaisseurs dans les années 1990, puis à des démarches commerciales prospectives au début des années 2000, Internet a été le support d’une explosion des enjeux économiques et sociaux. Les plateformes telles que Youtube, Facebook, Twitter ou plus récemment Instagram ont été les moyens, pour tous, de diffuser à très grande échelle tout type d’information. 

Cet accroissement des flux d’information et des supports, va de pair avec un accroissement de la problématique des sectes. En effet, ces nouveaux médias sont devenus le moyen principal de diffusion de discours et de croyances. De surcroît, les supports ne sont pas toujours des textes, mais également des supports plus didactiques tels que des images ou des vidéos permettant, parfois, de diffuser des thèses et des comportements contestables. Face à celles-ci, les instances de modérations des sociétés privées hébergeant ces contenus ont été à la fois peu motivées par les pouvoirs publics et submergées. En parallèle, la compétence des  institutions de luttes contre les dérives sectaires a été réduite à peau de chagrin, et le budget a été largement entamé par les différentes réformes. Alors même que les enjeux prennent de plus en plus d’importance, les moyens conférés à cette lutte sont de plus en plus maigres. En effet, selon la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, aujourd’hui 500 000 citoyens en France seraient sujets de dérives sectaires, dont 60 000 à 80 000 enfants. 

La nécessité du contrôle des dérives sectaires

Les initiatives de luttes contre les dérives sectaires ont pour origine le rapport Vivien en 1996 qui a eu pour conséquence la création d’un observatoire des dérives sectaire la même année, puis de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes deux années plus tard. En 2002, cette lutte prend plus d’ampleur encore, par la nouvelle métamorphose de l’institution qui prend sa forme définitive : la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaire (MIVILUDES). Dès lors, la France était dotée d’outils législatifs et institutionnels d’avant-garde, n’existant nulle part ailleurs. Cette institution a, tout d’abord, la compétence d’un observatoire afin d’appréhender le phénomène. Elle coordonne également l’action préventive et répressive dans ce domaine, notamment en recueillant les signalements et en étant le premier contact auprès des victimes. Enfin, elle facilite l’aide auprès de ces dernières.

Malheureusement, la Mission interministérielle est redevenue un observatoire, par manque de moyens et de volonté politique. En premier lieu, son caractère interministériel, le fondement de son existence car les mouvements sectaires touchent de nombreux domaines, a disparu. Elle est aujourd’hui sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et non plus du cabinet du premier ministre. Depuis, deux années, la mission n’a plus de président. Sur les dix salariés restant, seuls trois se sont vus effectivement rattacher au nouveau ministère de Tutelle, l’incertitude persiste pour les autres. Le budget plafonne à 500 000 euros annuel. Enfin, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner, a confirmé que cette institution allait être fusionnée avec le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, deux sujets pourtant très différents. Les moyens donnés à cette institution sont donc en baisse alors même que les enjeux sont de plus en plus importants. 

Les dérives sectaires prennent en effet des formes de plus en plus variées, atteignant des cibles plus nombreuses. Nous avons pu constater de nouvelles thématiques abordées par celles-ci. Les dérives sectaires ont alors, des conséquences très concrètes sur l’opinion et les politiques publiques. Aucun milieu et aucune profession n’échappent à ces nouvelles formes d’emprise. Ces dernières années, le domaine de la santé a été particulièrement touché. En effet, en 2018, la Miviludes a reçu 2800 signalements, dont un tiers concernait ce domaine. Le paroxysme de cette situation été vécu pendant la pandémie de Covid-19, qui a vu naître certains mouvements de croyances pseudo-scientifiques relatifs à certains traitements qui n’avaient pas été éprouvés par les protocoles scientifiques tels que le scandale de l’hydroxychloroquine, homéopathiques ou vitaminiques. Pour certains de ces traitements, l’efficacité contre cette maladie a été dénéguée par les producteurs mêmes de ces produits. Ces exemples sont à la marge de la thématique ici abordée, mais ne lui sont pourtant pas étrangers, car ils touchent à la croyance, aux atteintes aux droits des personnes, et plus globalement à l’ordre public. Ces atteintes au droit médical, aux réglementations sur les essais thérapeutiques et aux restrictions de la liberté d’expression du personnel médical, ont certainement ralenti la recherche sur cette maladie et ses traitements. Il apparaît alors nécessaire aujourd’hui d’accroître la lutte et la prévention contre ces nouvelles croyances, ces nouvelles formes de sujétion. 

Adrien Couanet

M2 Cyberjustice – Promotion 2020/2021

Bibliographie : 

  • Cabrillac, Rémy (dir), Robert, Jacques, « La liberté de religion, de pensée et de croyance », In Libertés et droits fondamentaux, Maitrise des connaissances et de la culture juridique, Édition dalloz, 2020, p. 468 et suivantes. 
  • Chevènement, Jean-Pierre, Circulaire du ministère de l’Intérieur du 20 décembre 1999 relative à la lutte contre les agissements répréhensibles des mouvements sectaires, 20 décembre 1999.
  • Décret n°2002-1392 du 28 novembre 2002 instituant une mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.
  • Gaudemet-Basdevant, Brigitte , XIème Conférence des Cours constitutionnelles européennes, La jurisprudence constitutionnelle en matière de liberté confessionnelle et le régime juridique des cultes et de la liberté confessionnelle en France, Novembre 1998.
  • Loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, dite loi About-Picard, 12 juin 2001.
  • Kheniche, Oufia, Lutte contre les sectes : La Miviludes va disparaître, France Inter, 1er Octobre 2019. 
  • Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires : https://www.derives-sectes.gouv.fr
  • Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, Rapport au Premier Ministre, 2003. 

A propos de