L’Assemblée nationale française définit la procédure d’injonction de payer comme telle : « La procédure d’injonction de payer est une procédure rapide qui concerne des créances d’un montant déterminé ayant une cause contractuelle ou qui résulte d’une obligation statutaire »

Ce contentieux de masse en France (près de 500 000 demandes chaque année) fait pour l’instant l’objet d’un traitement dans chaque Tribunal d’instance français par l’intermédiaire du logiciel IP Web. Ce logiciel, mis en place par un arrêté du 3 mars 2011, portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel, vise à la dématérialisation des échanges entre les huissiers de justice et les tribunaux d’instance relatifs aux requêtes en injonctions de payer et à leur traitement. Par le biais de cet instrument, les acteurs de la chaine judiciaire ont directement accès aux données de traitement automatisé en la matière, qui leur sont transmises par les huissiers de justice qui deviendront à compter du 1er juillet 2022 les commissaires de justice. 

Or la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a prévu un changement important en matière d’injonction de payer, à savoir la création d’une juridiction nationale de traitement dématérialisé des injonctions de payer. L’entrée en vigueur de cette modification et donc la création de cette juridiction unique se fera au plus tard au 1er janvier 2021. 

L’objectif de l’article 27 de la réforme qui prévoit la mise en place de celle que le langage judiciaire a déjà surnommé la « JNIP » est le regroupement de ce contentieux lié aux injonctions de payer afin de faciliter la dématérialisation et le traitement rapide des procédures afférentes. 

Cependant cette mise en place implique plusieurs bouleversements. Comment gérer le stockage de tant de données sur une seule juridiction ? À cette problématique seul le décret d’application, basé sur une analyse prospective de mise en oeuvre permettra de répondre. 

Quant au point de savoir quels seront les magistrats et greffiers attachés à cette mission, il semble que le traitement des requêtes en injonction de payer devienne alors la seule mission de ceux qui en auront la charge. En ce sens, il va de soi que la mission, assez répétitive du traitement de ces requêtes puisse effrayer plus d’un magistrat. Mais au delà de ce point c’est un autre débat qui s’ouvre : eu égard à la centralisation de ce contentieux en un seul point, à la dématérialisation complète de cette procédure et au progrès numérique, pourquoi ne pas mettre en place un traitement des demandes par une intelligence artificielle ? 

Que l’on y soit favorable ou non, la place de cette technologie tend à s’accroitre, y compris dans le domaine de la justice. Or il semble que les obstacles à la mise en place de cette IA au sein de la justice française tendent à s’amenuiser (cf. la charte éthique de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les juridictions adoptée le 4 décembre 2018 par la CEPEJ et la dématérialisation complète du contentieux des injonctions de payer). Dès lors, il y a tout lieu de considérer que l’objectif, à terme de la création d’une telle juridiction nationale repose sur la mise en place d’un système de traitement algorithmique de ces procédures au sein desquelles le magistrat n’exercera plus qu’un simple contrôle de la décision préconisée par la machine. 

Cependant, et comme l’a démontré le rapport de 2017 rendu par le Défenseur des droits « 33 % des personnes déclarent être peu à l’aise avec internet », il convient donc de se demander, avant même d’envisager le règlement par une intelligence artificielle de ce type de litige, quelles seront les options offertes en la matière au justiciable qui ne maitrise pas pleinement la procédure numérique. La loi de réforme y apporte une réponse en prévoyant que les personnes physiques n’agissant pas à des fins professionnelles et non représentées par un mandataire, ainsi que les requérants en matière d’injonction de payer européenne pourront néanmoins saisir cette juridiction par voie papier. Mais pour combien de temps encore ? 

Laetitia BENOIT
Master 2 Cyberjustice – Promotion 2018-2019

A propos de