• Auteur/autrice de la publication :
  • Temps de lecture :9 min de lecture
  • Post category:Non classé
You are currently viewing Les décrets du 4 décembre 2020 : l’adoption en toute discrétion de la face cachée de la loi sécurité globale

Dans un contexte extrêmement délicat marqué par les débats houleux autour de la proposition de loi relative à la sécurité globale, le gouvernement a, en douce, voté trois décrets, datés du 2 décembre 2020, et publiés le 4 décembre 2020 au JORF. Vous n’en avez pas entendu parler ? Le gouvernement a donc réussi son coup. Ces décrets, qui viennent modifier les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives au traitement de données à caractère personnel, ont fait l’objet d’un recours en référé par différents syndicats qui contestent leur légalité. Le 5 janvier 2021, le Conseil d’Etat approuve ces nouvelles mesures, infirmant leur potentielle dangerosité. Qu’en est-il réellement ?

Des décrets controversés 

Dans les faits, les décrets n° 2020-1510, 2020-1511 et 2020-1512 viennent modifier des dispositions relatives au traitement de données à caractère personnel. Pour comprendre ce qu’ils vont modifier en substance, je vous invite à lire l’article explicatif de Thomas Régior

L’essentiel est de retenir que ces fichiers, à disposition des services de renseignement, de police et de gendarmerie, qui concernent les personnes « dont l’activité individuelle ou collective indique qu’elles peuvent porter atteinte à la sécurité publique », vont pouvoir enregistrer de nouvelles données à caractère personnel. Objectif douteux me direz-vous, mais après tout, pourquoi pas, dans un contexte de lutte contre le terrorisme, la pertinence de cette modification peut en justifier la substance. Analysons la suite. 

Seront renseignées désormais non plus les « activités », mais les « opinions politiques », les « convictions philosophiques et religieuses » et « l’appartenance syndicale ». Atteinte aux libertés individuelles me direz-vous ? Que nenni, mesures justifiées par la nécessité d’avoir un maximum d’informations sur les personnes considérées comme « dangereuses pour la sûreté de l’Etat ». Mais qu’est-ce que la sûreté de l’Etat ? N’en demandez pas trop, si c’était d’une clarté limpide, ce serait trop facile. Bouquet final : seront désormais notamment renseignées, les « activités sur les réseaux sociaux » ou encore les « activités sportives ». Alors, indigné ? 

Avec autant de notions floues que d’interprétations éventuelles, le gouvernement fait passer un message on ne peut plus clair. Un militant, un manifestant, ou plus concrètement, n’importe qui, pourra être considéré comme « dangereux pour la sûreté de l’Etat » – notion fumeuse et indéfinie – et voir ainsi ses données personnelles recueillies et surveillées. 

Une légitime réticence face au contexte de ces décrets

Evidemment que la CGT, FO et la FSU (Confédération générale du travail ; Force ouvrière ; Fédération syndicale unitaire) font partie des organisations syndicales qui ont saisi en référé le Conseil d’Etat. N’en déplaise à Madame Vidal et Monsieur Blanquer, ce n’est pas qu’une bataille politique « d’islamo-gauchistes » : le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France sont également parties à cette saisine. Tous dénoncent des dérives liberticides et totalitaires. A l’instar de la proposition de loi de novembre 2020, la surveillance massive, bien que démentie par le gouvernement, semble être la principale motivation de ces décrets. 

La CNIL a souligné que certaines rédactions, concernant notamment les opinions politiques et les convictions philosophiques et religieuses, étaient « particulièrement larges ». Si le caractère imprécis, confus des dispositions avait conduit à la réécriture de la proposition de loi, il ne semble étrangement pas inquiéter le Conseil d’Etat en l’espèce. Parallèlement, Arthur Messaud, porte-parole de la Quadrature du Net, ONG, s’insurge : « nous sommes extrêmement choqués que le gouvernement ait fait ça sans débat public, en catimini ». Il dénonce « une pratique jusqu’ici illégale que la police convainc le gouvernement de légaliser a posteriori ». 

Si la France se démarquait des Etats-Unis par sa législation respectueuse des libertés individuelles et de la protection des données personnelles, elle semble désormais s’en rapprocher dangereusement. Si la justice est aveugle, la plus haute juridiction administrative semble, par le rejet de la requête des syndicats, lui redonner la vue ; Big Marianne is watching you !

Des mesures à mettre en relation avec l’article 22 de la loi sécurité globale

Les autorités publiques « peuvent procéder au traitement d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs. (…) Les images captées peuvent être transmises en temps réel au poste de commandement du service concerné ». C’est ce que disposait cet article 22. Il convient de rappeler que si cette disposition nous horripile, elle ne visait qu’à encadrer légalement une pratique déjà exercée par les forces de l’ordre depuis quelques années. On peut se risquer à critiquer la légitimité de ces législations : sous couvert de lutte contre le terrorisme, la notion d’atteinte à la « sûreté de l’Etat » va également permettre de surveiller, dans une certaine mesure, des opposants politiques du gouvernement. 

Plus loin, ce même article revient à la charge : « l’autorité responsable tient un registre des traitements mis en œuvre précisant la finalité poursuivie, la durée des enregistrements réalisés (…). Hors le cas où ils sont utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, les enregistrements sont conservés pour une durée de trente jours ». 

Il convient de philosopher sur l’opportunisme du flou juridique dissimulé dans les dispositions de la loi sécurité globale autant que dans ces décrets discutables. La lutte contre le terrorisme mérite-t-elle l’occultation de libertés démocratiques fondamentales ? Nos données personnelles doivent-elles être les victimes d’un gouvernement qui a fait du contrôle son obsession ? Ouvrir la porte à la surveillance de données personnelles sur simple présomption d’atteinte à une notion bancale ressemble tout de même, sans nourrir de quelconques divagations complotistes, à une volonté de surveillance massive

Poussons l’analyse : pourquoi, là où l’Assemblée Nationale et le Sénat ont accepté une réécriture complète, après avoir compris que la rédaction de la proposition de loi était contextuelle, volontairement sibylline et douteuse, le Conseil d’Etat valide-t-il ces décrets adoptés sans bruit ? Si l’on doit se résigner à docilement accepter la décision et considérer ces actes comme légaux, il demeure indispensable de se questionner quant à leur légitimité démocratique. Quel prix pour la surveillance et le contrôle de données, quels compromis pour le sentiment de sécurité, quelle compétence pour les services de renseignement – comment passer de la République en marche, à l’Etat policier au pas de course. 

Léon CHARVOLIN

M2 Cyberjustice – Promotion 2020/2021 

  • Sources

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/12/07/le-gouvernement-elargit-trois-fichiers-de-renseignement_6062511_4408996.html

https://www.lefigaro.fr/flash-actu/le-conseil-d-etat-valide-l-elargissement-des-fichiers-de-renseignement-20210104

https://www.legifrance.gouv.fr/download/file/dQZ1SfRwlknYxBD7sUlKTE1tUE4pff_NWtPY0T-2KIM=/JOE#page=65&zoom=100,0,0

https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/modification-des-dispositions-du-code-de-la-securite-interieure-relatives-au-traitement-de-donnees-a-caractere-personnel-decisions-en-refere-du-4

https://www.usine-digitale.fr/article/le-recours-contre-le-fichage-policier-des-donnees-personnelles-est-rejete-par-la-justice.N1045324

A propos de