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Depuis sa nomination en 2017 à la tête du ministère des Armées, Florence Parly a annoncé ses ambitions en matière d’innovations dans le secteur militaire, dont celle de déployer sur le terrain des « soldats augmentés ».

Dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, la ministre a prévu d’augmenter les crédits annuels consacrés à l’innovation militaire, et un plan budgétaire d’un milliard d’euros devrait y être consacré d’ici l’année 2022. Le projet de loi de finances pour 2021 déployé en décembre a également mis en place sur six ans un Fond d’innovation défense (FID) dédié aux startups, PME et entreprises de taille intermédiaire innovantes développant des technologies duales (civiles et militaires) susceptibles d’intéresser la Défense. Le fond DEFINNOV, mis en place à cet effet par le ministère des armées et doté de 200 millions d’euros, y participera sur cinq ans. 

Ces investissements ont pour finalité d’améliorer la supériorité opérationnelle militaire internationale de la France, mais également de préparer les forces militaires françaises aux risques terroristes et géopolitiques émergeants. Cela comprend l’amélioration du niveau de performance des soldats et des équipements militaires français

L’augmentation humaine en discussion

Lorsque l’on parle d’un être humain « augmenté », cela signifie que ses capacités physiques ou cognitives ont été améliorées par les sciences et les technologies : augmentation de sa force physique, de son activité neurale… L’imaginaire tend à rattacher cette vision à un film de science-fiction dans lequel l’être humain augmenté, ici un super soldat, serait doté d’aptitudes surnaturelles le séparant du commun des mortels. Ne nous aventurons pas si loin.

A cet effet, un Comité d’éthique de la défense, installé le 10 janvier 2020 par Florence Parly et comportant dix-huit membres ayant des compétences diverses (dans les domaines opérationnels, scientifiques, médicaux, philosophiques, historiques et juridiques) se consacre à la réflexion autour des technologies de défense innovantes, de leurs applications militaires et de leurs possibles dérives, dont celle controversée du « soldat augmenté ».

A l’occasion d’une table-ronde du 4 décembre 2020 sur le thème « Ethique et soldat augmenté », la ministre a affirmé : « Quand on parle de soldat augmenté, on parle d’un soldat dont les capacités physiques, perceptives et cognitives sont stimulées pour renforcer son efficacité opérationnelle. En d’autres termes, le soldat augmenté existe depuis longtemps : il s’agit d’un militaire muni de jumelles de vision nocturne ou bien équipé d’un exosquelette. Mais aujourd’hui, ces augmentations deviennent de plus en plus sophistiquées et ne se limitent plus à l’équipement ».

Au-delà de ces améliorations accessoires, la Ministre des Armées précise en effet que le Comité d’éthique de la défense s’intéresse plus particulièrement aux augmentations « invasives » qui franchiraient la barrière corporelle, « ce qui inclut les médicaments, les prothèses et les implants corporels », les « pratiques vaccinales » ou encore « la caféine à libération prolongée ». 

Le soldat du futur, l’Iron Man d’aujourd’hui ?

Bertrand Pêcheur, président du Comité d’éthique de la défense estime que des « lignes rouges » ne doivent pas être franchies dans le secteur militaire français :

  • Sont prohibées les opérations « invasives » autres que la vaccination, telles que les opérations chirurgicales ou la pause d’implants. Bien que bon nombre de concepteurs de la Sillicon Valley fantasment sur l’invention d’implants du cerveau permettant de prendre le contrôle de systèmes connectés proches de soi ou sur des opérations des yeux offrant les capacités d’un nyctalope, elles « ne sont pas à l’agenda de l’armée française ». Les augmentations non-invasives « qui n’interviennent pas directement sur le militaire, même si elles contribuent à augmenter sa capacité de combat » sont autorisées : exosquelettes, casques de réalité virtuelle permettant une mise en condition physique et psychologique, etc.
  • Toute augmentation doit être « réversible » afin de permettre au soldat le retour à la vie civile. 
  • Aucune augmentation ne doit porter atteinte au libre-arbitre du soldat. Son consentement à l’utilisation d’une nouvelle technologie lors d’une opération militaire demeure libre et éclairé. Florence Parly précise qu’il y aurait des exceptions : on pourrait par exemple refuser à un soldat de se rendre sur le terrain s’il n’a pas reçu une vaccination nécessaire à cet effet.
  • Les augmentations ne doivent en aucun cas compromettre la santé et la sécurité des militaires. Dans le cas contraire, une alternative naturelle devra être privilégiée.

« Nous disons oui à l’armure l’Iron Man et non à l’augmentation à et à la mutation génétique de Spiderman ». Cette phrase de Florence Parly prononcée à l’occasion du premier rapport rendu par le Comité éthique de la défense met donc l’accent sur le refus de ces technologies « invasives ». Il n’est pas encore question d’augmentation sous-cutanée. A la place, les puces se retrouveront dans les uniformes ou le matériel militaire. En résumé : on parle d’augmentation de l’uniforme, mais il n’est pas encore question d’augmentation humaine !

La ministre et le Comité se veulent tout de même réalistes : bien d’autres Etats n’ont pas les mêmes considérations, il nous faut donc nous tenir prêts à toute éventualité d’utilisation de ces technologies dites « invasives » dans le futur. Il est alors impératif que ces limites posées par le Comité ne mettent pas un frein à la recherche sur le soldat augmenté et les études sur l’innovation militaire en général.

Point sur la recherche militaire : des innovations sorties tout droit de notre imaginaire

Le Comité d’éthique de la défense a fait appel à des auteurs de science-fiction pour s’imaginer à quoi ressemblera l’armée du futur. Nommée « Red team » par la Ministre des Armées, cette équipe est chargée d’imaginer les scénarios les plus fous et pourtant les plus probables qui se profileront à l’horizon 2030-2060. Elle sera pilotée par l’agence de l’innovation de la défense (AID), dirigée par Emmanuel Chiva, qui se penche dès à présent sur plusieurs projets. 

Dans un rapport intitulé « A la recherche du soldat augmenté, espoirs et illusions d’un concept prometteur », l’IFRI (institut français des relations internationales) donne une liste d’innovations qui seraient expérimentées par l’armée très prochainement, telles que : l’usage de l’impression 3D pour construire des prothèses ou reconstruire des peaux brûlées ; la création de jumelles couplées à de l’intelligence artificielle permettant d’ajouter des informations aux images observées au travers de leurs lunettes ; l’invention de couvertures « caméléon » constituées d’assemblages de plaques pixélisées ; l’utilisation de planches volantes inspirées du « Flyboard » de Franky Zapata…

Une étude parue dans Advanced Functional Materials explique également qu’une équipe scientifique de Corée du Sud a mis au point une matière artificielle composée de matériaux thermochromiques, qui permettent d’obtenir l’invisibilité de la surface qu’elle recouvre et la rendraient indécelable, même aux yeux des caméras thermiques actives de nuit. Elle pourrait être apposée sur des objets ou de la peau humaine afin de les rendre invisibles et serait applicable à des fins militaires.

De même, si l’on se base sur le récent modèle de l’Iron Man Suit (ou Armure TALOS) du laboratoire du MIT et de l’US Special Operations Command, l’exosquelette militaire du soldat de demain n’est pas n’importe lequel : véritable armure, l’exosquelette du soldat du futur allègerait le fardeau du poids de l’équipement du militaire, améliorerait sa force et sa rapidité de déplacement, tout en optimisant la protection du corps humain en permettant de ralentir voire stopper des balles (selon les calibres) et des morceaux de shrapnel. Il permettrait également de mesurer en temps réel les signes vitaux du soldat qui le porte et serait équipé d’un casque de réalité augmentée, permettant de traduire son environnement en informations statistiques. Rien que ça !

Nous n’en avons pas encore terminé avec la recherche sur le « soldat augmenté ». Mais que l’on se rassure, malgré les progrès que connaît la science, le véritable soldat du futur ne verra pas le jour avant plusieurs années.

Marussia Samot

Master 2 Cyberjustice, Promotion 2020-2021

Sources :

Le ministère des Armées lance le Fonds innovation défense (defense.gouv.fr)

L’innovation, une priorité absolue du ministère des Armées (defense.gouv.fr)

Discours de Florence Parly, ministre des Armées, introduisant la table-ronde “Ethique et soldat augmenté” au Digital Forum innovation défense (defense.gouv.fr)

“Soldat augmenté” : le feu vert du Ministère des Armées (franceculture.fr)

L’Armée française se prépare à avoir des soldats “augmentés” (francebleu.fr)

Armement et Défense : des nouvelles technologies dignes de Marvel (toiledefond.net)

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